Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/371

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Et je ne cèle point que j’aurais de l’ennui
Que la gloire en fût due à quelque autre qu’à lui ;
Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême
À se voir redevable, Élise, à ce qu’il aime ;
Et sa flamme timide ose mieux éclater
Lorsqu’en favorisant elle croit s’acquitter.
Oui, j’aime qu’un secours qui hasarde sa tête
Semble à sa passion donner droit de conquête.
J’aime que mon péril m’ait jetée en ses mains,
Et si les bruits communs ne sont pas des bruits vains ;
Si la bonté du Ciel nous ramène mon frère,
Les vœux les plus ardents que mon cœur puisse faire,
C’est que son bras encor, sur un perfide sang
Puisse aider à ce frère à reprendre son rang.
Et par d’heureux succès d’une haute vaillance
Mériter tous les soins de sa reconnaissance :
Mais avec tout cela, s’il pousse mon courroux,
S’il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,
Et ne les range aux lois que je lui veux prescrire,
C’est inutilement qu’il prétend Done Elvire.
L’hymen ne peut nous joindre, et j’abhorre des nœuds,
Qui deviendraient sans doute un enfer pour tous deux.

Élise
Bien que l’on pût avoir des sentiments tout autres,
C’est au Prince, Madame, à se régler aux vôtres,
Et dans votre billet ils sont si bien marqués
Que quand il les verra de la sorte expliqués…

Done Elvire
Je n’y veux point, Élise, employer cette lettre,
C’est un soin qu’à ma bouche il me vaut mieux commettre.
La faveur d’un écrit laisse aux mains d’un amant
Des témoins trop constants de notre attachement :
Ainsi donc empêchez qu’au Prince on ne la livre.

Élise
Toutes vos volontés sont des lois qu’on doit suivre.
J’admire cependant que le Ciel ait jeté
Dans le goût des esprits tant de diversité,
Et que ce que les uns regardent comme outrage
Soit vu par d’autres yeux sous un autre visage.
Pour moi je trouverais mon sort tout à fait doux
Si j’avais un amant qui pût être jaloux ;
Je saurais m’