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NOTICE.

Jouée pour la première fois à Paris, le 24 juin 1661, et accueillie par le public avec la plus grande faveur, l’École des Maris fut représentée le 12 juillet suivant, devant la cour, à l’occasion d’une fête donnée par Fouquet dans sa terre de Vaux, et la reine d’Angleterre, Monsieur, frère du Roi, Henriette d’Angleterre, confirmèrent par des applaudissements empressés le jugement des Parisiens. La Discreta enamorada, de Lope de Vega, la comédie de Moréto, No puede ser guardar una muger, On ne peut garder une femme, les Adelphes, de Térence, Boccace, ont, suivant les commentateurs, fourni des inspirations à Molière. Mais ici comme toujours, il a singulièrement embelli ses emprunts ; Voltaire, du reste, réduit à fort peu de chose les emprunts faits à Térence, et dans le parallèle suivant il établit, avec la sûreté ordinaire de son goût, la supériorité de la pièce française :

« On a dit que l’École des Maris était une copie des Adelphes de Térence : si cela était, Molière eût plus mérité l’éloge d’avoir fait passer en France le bon goût de l’ancienne Rome, que le reproche d’avoir dérobé sa pièce. Mais les Adelphes ont fourni tout au plus l’idée de l’École des Maris. Il y a dans les Adelphes deux vieillards de différente humeur, qui donnent chacun une éducation différente aux enfants qu’ils élèvent : il y a de même dans l’École des Maris deux tuteurs, dont l’un est sévère et l’autre indulgent : voilà toute la ressemblance. Il n’y a presque point d’intrigue dans les Adelphes ; celle de l’École des Maris est fine, intéressante et comique. Une des femmes de la pièce de Térence, qui devait faire le personnage le plus intéressant, ne paraît sur le théâtre que pour accoucher ; l’Isabelle de Molière occupe presque toujours la scène avec esprit et avec grâce, et mêle quelquefois de la bienséance même dans les tours qu’elle joue à son tuteur. Le dénoûment des Adelphes n’a nulle vraisemblance ; il n’est point dans la nature qu’un vieillard qui a été soixante ans chagrin, sévère et avare, devienne tout à coup gai, complaisant et libéral. Le dénoûment de l’École des Maris est le meilleur de toutes les pièces de Molière ; il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l’intrigue, et, ce qui vaut bien autant, il est extrêmement comique. Le style de Térence est pur, sentencieux, mais un peu froid, comme César, qui excellait en tout, le lui a reproché. Celui de Molière, dans cette pièce, est plus châtié que dans les autres. L’auteur français égale presque la pureté de la diction de Térence, et le passe de bien loin dans l’intrigue, dans le caractère, dans le dénoûment, dans la plaisanterie. »

Tous les critiques sont d’accord pour louer la force de conception, la verve comique et le style de l’École des Maris. M. Nisard dit même que la création du Sganareile de cette pièce est la création du premier homme dans la comédie française. Geoffroy seul, au milieu de ce concert unanime d’éloges, a prononcé