Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/489

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Dans les convulsions de leurs civilités,
Je me suis doucement esquivé sans rien dire,
Non sans avoir longtemps gémi d’un tel martyre,
Et maudit ce fâcheux, dont le zèle obstiné


M’ôtoit au rendez-vous qui m’est ici donné.
La Montagne.
Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie  :
Tout ne va pas, monsieur, au gré de notre envie.
Le ciel veut qu’ici-bas chacun ait ses fâcheux,
Et les hommes seroient sans cela trop heureux.
Éraste.
Mais de tous mes fâcheux le plus fâcheux encore,
C’est Damis, le tuteur de celle que j’adore,
Qui rompt ce qu’à mes vœux elle donne d’espoir,
Et fait qu’en sa présence elle n’ose me voir.
Je crains d’avoir déjà passé l’heure promise,
Et c’est dans cette allée où devoit être Orphise.
La Montagne.
L’heure d’un rendez-vous d’ordinaire s’étend,
Et n’est pas resserrée aux bornes d’un instant.
Éraste.
Il est vrai  ; mais je tremble, et mon amour extrême
D’un rien se fait un crime envers celle que j’aime.
La Montagne.
Si ce parfait amour, que vous prouvez si bien,


Se fait vers votre objet un grand crime de rien,
Ce que son cœur pour vous sent de feux légitimes,
En revanche lui fait un rien de tous vos crimes.
Éraste.
Mais, tout de bon, crois-tu que je sois d’elle aimé  ?
La Montagne.
Quoi  ? Vous doutez encor d’un amour confirmé...  ?
Éraste.
Ah  ! C’est malaisément qu’en pareille matière
Un cœur bien enflammé prend assurance entière  ;
Il craint de se flatter, et dans ses divers soins,
Ce que plus il souhaite est ce qu’il croit le moins.
Mais songeons à trouver une beauté si rare.
La Montagne.