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J.-B. POQUELIN DE MOLIERE.

de tous les siècles, les faiblesses et les vices qui survivent à toutes les transformations sociales, et les ridicules qui changent comme les modes. La vérité, dans ses œuvres, est si profonde, si humaine, qu’elle s’est, comme sa gloire elle-même, rajeunie en vieillissant. Lorsqu’il disait : « Je prends mon bien partout où je le trouve, » il avait droit de parler ainsi, parce qu’il cherchait dans les livres, non des traits d’esprit ou des mots heureux, pour se les approprier, nais l’expérience et l’observation du passé, pour la rectifier et l’agrandir par l’expérience du présent et l’observation de la vie. Il empruntait du cuivre pour en faire de l’or. Comédies sérieuses ou farces, ses pièces offrent toutes une étude psychologique rigoureuse et complète ; et quand on analyse l’un après l’autre tous ses personnages, on trouve, en additionnant les différents caractères, la somme totale de nos passions, de nos vices, de nos sentiments, et le type des diverses classes de la société. Harpagon, c’est l’avarice sordide ; son fils Cléante, le désordre et la prodigalité ; Tartuffe, l’hypocrisie dans la scélératesse ; don Juan, l’effronterie dans le vice ; Argan, l’égoïsme et la pusillanimité ; M. Jourdain, la vanité dans la sottise et l’ignorance ; Vadius et Trissotin, la sottise et la vanité dans le savoir ; Célimène, l’esprit avec la sécheresse du cœur ; Agnès, la rouerie dans l’ingénuité ; Alceste, la susceptibilité douloureuse de la tendresse et de l’honneur ; doña Elvire, c’est la résignation de l’amour indignement trompé ; Mathurine, la coquetterie primitive et sauvage ; George Dandin, la faiblesse et l’irrésolution ; Angélique, l’impudence de la femme sans cœur ; Sganarelle, la jalousie sotte et grossière ; Ariste et Philinte, le bon sens calme et l’amabilité ; Aglaure, la jalousie féminine ; enfin, M. Dimanche, c’est le marchand qui veut faire fortune ; M. Jourdain, le marchand qui l’a faite ; Dorante, l’escroc, le grec du beau monde ; M. de Sotenville, le hobereau de campagne. Les caractères de femmes surtout offrent, depuis les nuances les plus tranchées jusqu’aux nuances