Page:Molière - Œuvres complètes, CL, 1888, tome 02.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Élégants, marquis, précieuses, tout ce qui se piquait de délicatesse repoussait Molière comme un cynique bouffon. Parler de tarte à la crème, de grés jeté par la fenêtre et d’enfants faits par l’oreille, fi donc ! Le duc de la Feuillade, qui donnait le ton aux beaux de la cour, ne répondait, lorsqu’on venait lui demander son opinion sur la pièce nouvelle, que ces mots dédaigneusement jetés : Tarte à la crème. Les partisans de la décence reléguaient Molière parmi les bateleurs. Les austères condamnaient les sermons d’Arnolphe comme attentatoires à la religion. L’ancienne tragédie, la vieille littérature, se croyaient blessées. On désertait l’hôtel de Bourgogne ; Corneille vieillissant, que défendait son frère Thomas, s’indignait que des bouffonneries attirassent plus de monde que Sertorius, Chimène et les Horaces. Le polygraphe Sorel, qui s’était fait appeler le sieur de Lisie ; le spirituel et méchant de Visé, défenseur des marquis ; l’ingénieux Boursault, qui, pour agréer aux précieuses, s’était mis à la tête du parti des ruelles, marchaient résolument contre ce bouffon qui les éclipsait. Avec tous les avantages et toute la gloire de la conquête, Molière en avait les déboires et les douleurs. À la première représentation, l’on vit la société d’autrefois se réveiller, surgir, prendre un corps, et tout ce que Molière combattait apparaître sous la figure d’un nommé Clapisson, qui représenta à lui seul l’armée des ennemis de Molière. « Il écouta, dit l’auteur, toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde. Tout ce qui égayoit les autres ridoit son front ; à tous les éclats de rire, il haussoit les épaules et regardoit le parterre en pitié. Quelquefois aussi, le regardant en dépit, il lui disoit tout haut : Ris donc, parterre, ris donc ! Ce fut une seconde comédie que le chagrin de ce philosophe ; il l’a donnée en galant homme à toute l’assemblée ; et chacun demeure d’accord qu’on ne pouvoit pas mieux jouer qu’il fit. » Déchiré et porté