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LA RANÇON

— Le bon Dieu te protégera, répondit gravement sœur Thérèse.

Après avoir réconforté la pauvre petite fille, elle la congédia, non sans une secrète angoisse. Il lui coûtait de la renvoyer les mains vides ; un moment elle avait pensé réparer l’accident, afin d’éviter une cruelle correction à sa nouvelle petite protégée.

Qu’allait dire la brute en la voyant revenir sans son infernale boisson, surtout après un si long retard ? La pauvre cœur en frémissait. D’un autre côté sa conscience se refusait à satisfaire la passion de l’alcoolique, même dans le but d’épargner l’innocente victime. Pour la première fois de sa vie le tendre cœur et la conscience délicate de sœur Thérèse entraient en lutte. Jamais sa charité, si ingénieuse pourtant, ne s’était butée à un semblable piège. Cependant le devoir l’emporta. La pieuse servante de Dieu avait une ressource : la prière. Après avoir pressé une dernière fois la pauvrette dans ses bras, et tracé, selon la coutume, avec son pouce, le signe de la croix sur le jeune front, elle la renvoya, puis, avec toute la ferveur de sa foi, elle confia l’enfant sans défense à l’Éternel Ami du pauvre et de l’orphelin. La confiante supplication fut entendue. Quand la petite rentra dans son triste réduit, l’ivrogne, las d’attendre, de menacer, de jurer, avait fini par se jeter sur son grabat et s’était endormi…

Doucement, marchant sur la pointe de ses petits pieds, retenant jusqu’à son souffle, pour ne pas réveiller son père, à son tour elle se glissa sans bruit sur l’amas de guenilles qui lui servait de lit. À la longue, sous l’empire de la fatigue et du sommeil, ses paupières s’alourdirent. Alors, elle vit en rêve une femme jeune et