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CŒUR MAGNANIME

V


Il y avait un peu plus d’un an que Rodrigue était à Paris. Il avait accompli presque la moitié de son stage ; mais, chose surprenante, il ne parlait plus dans ses lettres de ce retour qu’il souhaitait si vivement au début de son arrivée dans la capitale. Celles-ci, d’ailleurs se faisaient plus rares et plus brèves ; et ce qui étonnait Anne-Marie c’est qu’il ne disait rien d’Odile, alors qu’auparavant il lui en parlait presque dans chaque missive ; cette abstention éveilla dans son esprit un douloureux soupçon : elle comprit que dans le cœur de Rodrigue sa place était prise.

Il se fit un complet revirement dans la paisible demeure, toute remplie du souvenir du cher absent. Aux heures d’intimité on évitait de parler de lui : tous comprenaient qu’il leur échappait.

Chacun pensait : « nous aurions dû le garder près de nous » ; mais de crainte d’augmenter l’unanime chagrin on concentrait en soi-même ses propres regrets et ses trop tardives réflexions.

Léocadie, tout en accomplissant sa besogne, accablait de ses imprécations le « Paris abhorré » qui pour elle incarnait le malheur ; et bien souvent son poing menaçait un ennemi invisible.

Pauvre Léocadie ! elle souffrait, elle aussi, de la souffrance de ses maîtres. Elle s’était si tendrement atta-