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CHARLES MONSELET

Je ne vous rappellerai pas ma surprise et ma joie : vous en avez été le témoin. Il y a de ces récompenses inattendues et inespérées dont on est touché profondément.

J’étais comme un pauvre à qui l’on a mis une pièce d’or dans la main.

Cet article des Lundis devint le point de départ de charmantes relations entre M. Sainte-Beuve et votre humble rédacteur.

L’aimable homme et le vif esprit ! Que de grâce, de finesse, d’ardeur juvénile !

Quelles heures exquises, quelles soirées enchantées j’ai passées en causeries fécondes dans cette maison de la rue du Mont-Parnasse, dont la mort devait trop tôt franchir le seuil !

Il me reste au moins, du premier de nos critiques, des billets précieux, curieux, de spirituels griffonnages où sa malice se donnait libre carrière, comme celui-ci à propos de Gustave Planche, que j’avais essayé de défendre contre ce que j’appelais ses rancunes.

« Hélas ! mon cher confrère, me répondit Sainte-Beuve, je crains bien que la clef de mes rancunes ne soit, au fond, dans mon odorat. Vous avez beau dire, je ne croirai jamais qu’un homme aussi malpropre ait été un homme de goût. Le goût, après tout, n’est que le plus subtil des sens. Excusez ma frivolité et mon excès de délicatesse. »

N’est-ce pas là tout un article en six lignes ?

Aujourd’hui Sainte-Beuve n’est plus, mais son souvenir vit toujours en moi, pieusement entretenu par la reconnaissance.

Depuis cette approbation, ou plutôt cet encouragement, tombé de si haut, je me suis toujours promis, à travers les hasards de la vie littéraire, de revenir à la publicité du Petit Journal, à cette publicité qui m’a été si heureuse, et dont vous êtes le dispensateur, mon cher ami.

Ce sont mes chroniques d’autrefois que j’ai le désir de reprendre chez vous, mais plus assidûment et d’une façon plus régulière.

Permettez-moi de les placer sous le patronage de mon inventeur et de leur donner le titre de : Mes Petits Lundis.

Les « Grands Lundis » touchaient à tout, mes « Petits Lundis » se contenteront de tout effleurer.

Je n’ai d’autre ambition que de peindre quelques côtés de la vie physique et intellectuelle de Paris.

Lorsque les individus me manqueront, je me tournerai vers les livres. Je descendrai aussi dans la rue, comme jadis, et même, lorsqu’il fera beau, je pousserai jusqu’à la campagne.