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SA VIE, SON ŒUVRE

» La nature l’avait d’ailleurs prédestiné à cette importante fonction ; elle lui avait donné une haute taille, une santé robuste et un fond précieux de bonne humeur. Sans ambition, enclin à l’étude, suffisamment riche, il semblait devoir mener l’existence paisible et heureuse d’un avocat de province qui a son couvert mis dans toutes les bonnes maisons. Jusqu’à trente-quatre ans, en effet, on le voit aller et venir dans ce fertile pays du Bugey, tantôt s’attablant aux grasses hôtelleries où les volailles rôtissent par chapelets, tantôt taisant vis-à-vis a quelque jovial curé, d’autres fois tenant tête à de bruyants chasseurs. Déjà s’amassaient dans sa mémoire ces précieuses recettes qu’il devait léguer à la postérité : la fondue, l’omelette au thon, le faisan étoffé, etc.

» La Révolution vint couper court à ces joyeuses parties. Ses concitoyens, qui avaient su apprécier en lui d’honnêtes qualités, l’envoyèrent à l’Assemblée constituante. Brillat-Savarin n’y fit pas plus mauvaise figure qu’un autre ; mais il n’y parut pas préparé pour l’œuvre considérable qui s’apprêtait. De retour dans son département, il fut nommé président du tribunal civil. On voulait à toute force lui faire jouer un rôle. Qu’attendait-on de lui ? Je ne sais. L’année 1793 le trouva maire de Belley. Il jugea l’emploi trop lourd pour ses épaules, et, comme la Suisse n’était qu’à deux pas, il alla y chercher un refuge contre un mouvement qu’il se sentait impuissant à diriger ou à modérer. Brillat-Savarin passa aux États-Unis, où le repos qu’il goûta pendant deux années profita à ses chères études.

» Lorsqu’il revint en France, le directoire menait grand train. Lancé dans la voie d’aventures, Brillat-Savarin, qui avait été dépouillé de ses propriétés dans le Bugey, accepta un poste dev secrétaire dans l’état-major des armées de la république en Allemagne ; puis il fut envoyé en qualité de commissaire du gouvernement dans le département de Seine-et-Oise. Enfin, après le 18 Brumaire, auquel il avait assisté avec