ronnées de coiffes géantes, droites et carrées ; ce sont les
matrones du Grand-Marché et du marché des Récollets, — ou
plutôt du marché des Grands-Hommes, pour me conformer
aux dénominations révolutionnaires. Ces amazones de la
marée avaient pour petits noms : Cadiche, Cadichonne,
Seconde. Biles parlaient un patois vivement accentué, qui me
fut toujours singulièrement agréable, et où revenait souvent
le fameux qués ace ?
» Le patois bordelais a eu son poète dans le boulanger Verdié, bien avant que le patois agenais ait eu le sien dans le coiffeur Jasmin ; Meste Verdié demeurait rue Pont-Long ; c’était entre deux fournées de choines et de pain cô qu’il rimait ses récits populaires, d’une gaîté un peu salée.
» Il faut avoir entendu un Bordelais de la vieille souche réciter, avec l’accent et le geste indispensables, le Retour de Guillaoumet dans ses foyers.
» … Elles ont donc disparu peu à peu, les grandes coiffes ; les dernières se sont réfugiées autour de l’église Saint-Michel, ce quartier de la vieille artisanerie. Encore quelque temps et on ne les retrouvera plus que dans les spirituels dessins de M. de Galard, un des premiers propagateurs de la lithographie à Bordeaux (avec Goya). C’est là aussi qu’il faudra aller chercher ces grisettes dont la renommée fut pendant si longtemps européenne, ces jolies filles qui formaient une population à part dans la population : race fine, petite, brune, aux cheveux lisses sur le front et au chignon enveloppé dans un foulard de couleur éclatante. Aujourd’hui, le bonnet a tout à fait détrôné le foulard, cette délicieuse importation créole.
» Voilà pour mon Bordeaux gascon, quant aux costumes et au langage. Les rues, les édifices, à présent transformés et qui se lient à la même époque, ne sont pas moins présents à ma mémoire. Sans remonter au Tourny planté d’arbres et dont la physionomie offrait, à ce qu’on rapporte, un caractère autrement amusant que de nos jours — je puis accorder un