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CHARLES MONSELET


ronnées de coiffes géantes, droites et carrées ; ce sont les matrones du Grand-Marché et du marché des Récollets, — ou plutôt du marché des Grands-Hommes, pour me conformer aux dénominations révolutionnaires. Ces amazones de la marée avaient pour petits noms : Cadiche, Cadichonne, Seconde. Biles parlaient un patois vivement accentué, qui me fut toujours singulièrement agréable, et où revenait souvent le fameux qués ace ?

» Le patois bordelais a eu son poète dans le boulanger Verdié, bien avant que le patois agenais ait eu le sien dans le coiffeur Jasmin ; Meste Verdié demeurait rue Pont-Long ; c’était entre deux fournées de choines et de pain qu’il rimait ses récits populaires, d’une gaîté un peu salée.

» Il faut avoir entendu un Bordelais de la vieille souche réciter, avec l’accent et le geste indispensables, le Retour de Guillaoumet dans ses foyers.

» … Elles ont donc disparu peu à peu, les grandes coiffes ; les dernières se sont réfugiées autour de l’église Saint-Michel, ce quartier de la vieille artisanerie. Encore quelque temps et on ne les retrouvera plus que dans les spirituels dessins de M. de Galard, un des premiers propagateurs de la lithographie à Bordeaux (avec Goya). C’est là aussi qu’il faudra aller chercher ces grisettes dont la renommée fut pendant si longtemps européenne, ces jolies filles qui formaient une population à part dans la population : race fine, petite, brune, aux cheveux lisses sur le front et au chignon enveloppé dans un foulard de couleur éclatante. Aujourd’hui, le bonnet a tout à fait détrôné le foulard, cette délicieuse importation créole.

» Voilà pour mon Bordeaux gascon, quant aux costumes et au langage. Les rues, les édifices, à présent transformés et qui se lient à la même époque, ne sont pas moins présents à ma mémoire. Sans remonter au Tourny planté d’arbres et dont la physionomie offrait, à ce qu’on rapporte, un caractère autrement amusant que de nos jours — je puis accorder un