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SA VIE, SON ŒUVRE


regret au Jardin-Public, que j’ai vu si ombreux, si solennel, avec ses tilleuls centenaires, ses taillis profonds, ses pelouses et sa terrasse d’un si noble style. Les jeudis et les dimanches, tout un peuple d’écoliers s’abattait dans les herbes hautes et autour des chevaux de bois. Les militaires y faisaient l’exercice le matin ; d’autres fois, c’était une classe de tambours qui assourdissaient les échos. Aux heures embrasées de l’après-midi, quelques comédiens y venaient apprendre leurs rôles à l’ombre. La galanterie y avait aussi ses droits, comme vous le pensez bien ; le crépuscule amenait avec lui son cortège d’ombres indécises et de couples aux mains entrelacées. Ce Jardin-Public-là n’existe plus, ses ombrages ont été remplacés par des parterres fort élégants et fort peu mystérieux.

» J’ai connu la Bastide, lorsque la Bastide n’était qu’un riant village ; j’ai suivi, à travers les plus jolies guinguettes du monde et les plus délicieuses maisons de campagne, le chemin fleuri qui allait vers La Souys. Ce chemin a été remplacé par un autre, tout le long de la berge, droit comme un I.

» Mais ma pitié pour les arbres m’éloigne un peu de Bordeaux, j’y rentre. Quelque sympathie que j’éprouve pour le passé, je n’en suis pas cependant à regretter le fort du Hâ, cette abjecte prison. Peu m’importe qu’on ait rayé de mon Bordeaux gascon ce monceau de pierres et de fer, cette ruine laide et noire, pleine seulement des souvenirs du terroriste Lacombe.

  • Je ne prends pas aussi facilement mon parti de la métamorphose

de la rue Sainte-Catherine.

» L’ancienne rue Sainte-Catherine était tortueuse, sombre, étroite, elle changeait dix fois de physionomie et de nom dans sa route ; elle allait d’abord cahin-caha jusqu’à la place Saint-Projet ; là, le désordre s’emparait de ses pas ; elle s’engouffrait dans un petit passage, dégringolait une ruelle pour aboutir à la fontaine du Poisson-Salé ; elle devenait la rue Cahernan, et, jouant des coudes à droite et à gauche, elle