débouchait sur les fosses des Carmes, qu’elle traversait. Elle
s’enfonçait alors dans le quartier Israélite et s’intitulait la
rue Bouhaut. — Oh ! ce quartier et cette rue ! je voudrais
rendre l’impression étrange qu’ils m’ont laissée ; je voudrais
donner une idée de ces grandes maisons sévères, aux fenêtres
toujours closes, aux cours à galeries superposées et ouvertes.
Le bas de ces maisons était presque uniformément occupé
par des boutiques de marchands d’habits, de ces boutiques
encombrées et profondes où les juifs excellent à faire la nuit.
Des noms d’origine espagnole ou portugaise s’étalaient fièrement
sur les enseignes : Chimène, Léon, Mendès, Rodriguez,
Nunez, Lopez, Diaz, etc. Chaque maison était exhaussée de cinq
ou six marches sur lesquelles jouaient et criaient des enfants
singulièrement nombreux. Toute une population reconnaissable
à ses yeux perçants, vieillards à barbe blanche, jeunes
filles à chevelure noire, se pressaient, circulaient dans cette rue
Bouhaut, appelée familièrement par ses habitants eux-mêmes
le canton ou la nation, et qui était le centre du quartier Israélite,
si considérable et si important à Bordeaux, à toutes les époques.
» Au bout de la rue Bouhaut était biplace Saint-Julien, où avaient lieu les exécutions capitales. Ce théâtre sanglant faisait le pendant du Grand-Théâtre, situé à l’autre extrémité de la rue Sainte-Catherine. — Grâce à Dieu, ne m’y étant jamais trouvé au petit jour, je n’ai rien à raconter de ses légendes sinistres…
» Je désirerais en finir avec les rues. Or, ma mémoire est semblable elle-même à un carrefour où je me sens attiré de tous les côtés. C’est la rue du Puits-de-Bagne-Cap, qui me veut dire son fabliau du basilic : c’est la rue des Argentiers et la rue des Bahutiers qui essaient de m’induire en moyen âge ; c’est la rue Saint-James, pleine des souvenirs de la domination anglaise ; c’est la rue des Ayres, où il n’y a que des fleuristes ; la rue Bouquière, où il n’y a que des tourneurs tabletiers ; la rue Bouffard, où il n’y a que des cordonniers ;