Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/322

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chez soi, est pratiqué quelque part à Paris, c’est surtout dans ces zones lointaines, où la porte de chaque logis se ferme régulièrement dès le crépuscule pour ne se rouvrir qu’à l’aurore. Là se voit encore, dans toute sa pureté, la race du Parisien économe, qui achète ses denrées hors barrière, et se loge à la hauteur d’un bec de gaz afin d’éclairer gratuitement ses lares.

Les existences mystérieuses, celles que de grandes déceptions ont atteintes ou que de grandes fautes ont flétries, semblent aussi se réfugier de préférence sur ce boulevard austère. On pourrait y découvrir d’anciennes héroïnes de cours d’assises, des naufragés politiques, des ambitieux sans nom, cent misères d’autant plus féroces qu’elles sont fièrement cachées et noblement portées. Là, plus qu’ailleurs, vous rencontrez de ces fronts dépouillés, de ces regards creusés par le regret, de ces démarches insouciantes du but, de ces haillons qui disent la lutte et la défaite.

Mais si cette lisière de la capitale recèle de muets désespoirs et de douloureuses pudeurs, elle offre, en revanche, de riantes, d’originales particularités. Qui croirait qu’à cent pas des Invalides on cultive de vastes champs plantés de salades, qu’on y entretient des simulacres de prairies, et qu’on nourrit des vaches pour en vendre le lait ? Nous avons vu mieux encore nous avons vu une crèche installée au deuxième étage d’une maison de la rue d’Estrées. Les trois vaches qui la composaient y avaient été hissées dès leur plus bas âge et n’en devaient descendre qu’à l’état de catégories. Ces quelques lignes de description mettront nos lecteurs à même de se rendre compte du degré de solitude qui peut régner à neuf heures du soir dans un semblable faubourg. Quelques héros mutilés, attardés par de bachiques camaraderies, regagnaient seuls d’un pas incertain le dôme fameux, destiné à abriter leur gloire et leur innocente intempérance.

Le coupé que nous avons montré débouchant sur le boulevard des Invalides s’arrêta au coin de l’avenue de Tourville. Le cabriolet qui suivait le coupé, et qui, au mépris de tous les règlements de police, avait éteint sa lanterne, s’arrêta également.

Si le boulevard des Invalides est le plus désert des boulevards,