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petits mémoires littéraires

heure par heure, puis quart d’heure par quart d’heure, et enfin minute par minute.

J’étais dans les bureaux de la rédaction de la Presse lorsque M. Eugène de Monglave y apporta en funèbre document. Je ne sais rien de plus émouvant au monde, en dehors de l’intérêt psychologique qu’il présente.

C’est pourquoi je le reproduis ici presque en entier, car une telle page appartient de droit à l’histoire littéraire du dix-neuvième siècle.

« 26 mars 1852, 10 heures dit soir.

» Je viens de rentrer. Du reste de charbon que j’avais acheté pour 19 sous, il y a six ou huit jours, je fais un peu de feu, la soirée ayant été froide et la nuit devant l’être.

» Je ne me coucherai plus.

» J’ai pris mes précautions ; ma barbe est faite, mon corps est bien lavé ; j’ai mis un caleçon propre ; j’ai remonté ma pendule ; j’ai balayé et épousseté partout ; j’ai brûlé beaucoup de papiers ; j’en ai rangé un grand nombre.

» J’ai vendu ce matin quelques livres, afin d’être à même de déjeuner, de diner et d’acheter des bougies, qui serviront à éclairer le corps, suivant l’usage.

» Depuis quatre heures j’étais en courses. J’ai été rue Richelieu, 110, puis j’ai diné. Quel diner ! Vingt-un sous, rue Fontaine-Molière.

» Rentré ensuite chez moi, j’ai mis un post-scriptum à ma lettre à mes enfants et à celle que j’adresse à Monglave, et je suis sorti de nouveau…

» J’ai été rue de la Paix. Mes enfants sont descendues et j’ai pu les embrasser une dernière fois ! Quelle douleur ! Elles n’ont eu aucun soupçon, ces chères petites, et elles pourront au moins passer une bonne nuit.