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petits mémoires littéraires

» J’ai fait le tour du Palais-Royal.

» À mon retour, j’ai mis toutes mes lettres à la petite poste de la rue de l’Ancienne-Comédie, près de la rue Saint-André-des-Arts.

» Minuit. — Je prépare les bas, la chemise et le drap qui doivent être mes derniers vêtements.

» Je sens que le moment approche. Je le sens à une émotion de l’âme dont je ne puis me défendre, malgré mon courage.

» Je fais une prière à Dieu pour le repos de l’âme de Maria, pour mes enfants, pour moi-même ; car il y a un cri intérieur qui appelle à lui les sentiments du cœur les plus doux, les meilleurs et, avec eux, la confiance et l’espérance.

» J’entretiens le feu. Il me semble qu’il y a auprès de moi quelque chose qui vit.

» Si je n’avais pas été trompé, délaissé, abandonné, je n’en serais certainement pas où j’en suis.

» Mais seul, entraîné, abîmé dans un chagrin cuisant depuis la mort de Maria, sans consolation, sans espoir, poursuivi par le besoin, par la misère, humilié, calomnié, outragé, je n’ai vu qu’un moyen de sortir de cette situation extrême, et ce moyen c’est le suicide.

» Deux heures. — Que le temps passe vite ! Deux heures sonnent. Le vent est fort et vif au dehors.

» Je viens de mettre ma clef dans ma serrure, du côté de l’escalier, et j’ai suspendu à la clef, par un fil rouge, ma lettre à Marie Lachaise, ma concierge, dans laquelle je la préviens de l’événement et lui donne quelques instructions. De sorte que la première personne qui viendra ce matin la verra, la prendra, la remettra.