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petits mémoires littéraires

n’a pas le temps de se procurer habit, veste et culotte.

— Je vous crois, dis-je.

— Rendez-vous de dimancbe en quinze, au pont neuf, midi sonnant, sous l’œil du bon roi.

— Pourquoi faire ?

— J’ai un programme de fête… vous verrez… Et puis, je vous présenterai un de mes amis, une sommité déjà…

— Qui s’appelle ?…

— Théodore Barrière… À dimanche !

Rien ne m’empêcherait, pour gagner une ligne, de répéter ici les mots : À dimanche ! comme dans les romans de dialogue, mais un vif sentiment de la haute littérature me retient.

Le dimanche indiqué, au dernier coup de midi, par une radieuse journée de printemps, deux jeunes hommes s’avançaient l’un vers l’autre, — sur le terre-plein du pont Neuf.

Ils avaient été sur le point de passer sans se reconnaître.

Ils resplendissaient, ils éblouissaient du col au talon ; l’un jouait négligemment avec un lorgnon, l’autre balançait un stick imperceptible.

Était-ce Brummel ?

Était-ce le comte d’Orsay ?

C’était Murger.

C’était moi.

Nous avions obéi scrupuleusement à la loi que nous nous étions imposée : nous étions irréprochables.

— Maintenant, me dit Murger en me prenant sous le bras, nous pouvons aller partout, dans les salons aristocratiques du faubourg Saint-Germain, dans les salons financiers de la chaussée d’Antin, au bal