Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
petits mémoires littéraires

pierre, jusqu’à ce que, la brèche étant une fois ouverte et s’élargissant toujours, la tristesse passe et repasse à son aise, en attendant qu’elle s’établisse au cœur de la place et n’en sorte plus. »

Un peu plus loin, Prévost-Paradol arrive à la véritable éloquence :

« Le sort nous demande incessamment un sacrifice après un sacrifice. Comme l’impitoyable Romain qui, après avoir dit au peuple de Carthage : « Donne-moi tes vaisseaux, donne-moi tes éléphants, donne-moi tes armes ! » lui dit enfin : « Donne-moi ta cité, que je veux détruire, et va habiter plus loin ! » ainsi le sort nous presse ; et, après nous avoir dépouillés de cette illusion, il nous dit : « Quitte encore cette autre ; donne-moi enfin ce que tu as de plus sacré ou de plus cher, il faut que j’atteigne le fond de ton cœur ! »

Le sens de la fin de l’article est un peu plus obscur :

« Nos tristesses sont du même ordre que nos désirs, puisque nos désirs déçus les composent, et nos désirs, c’est nous-mêmes. Quelles sont donc les causes de notre tristesse ? Sont-elles nobles, élevées, avouables ou égoïstes, misérables, bonnes à cacher loin de toute lumière ?… Notre tristesse vient-elle seulement de l’inexécution de nos vœux injustes et de la soif inassouvie des plaisirs vulgaires ? »

Il est évident pour moi que Prévost-Paradol a vécu cet article.

C’était un inquiet. Après avoir été un écolier prodige, après avoir remporté toutes les palmes universitaires, après avoir trôné dans les salons et avoir joint, dit-on, plus d’un brin de myrte aux lauriers académiques ; après s’être vu proclamer le premier journaliste de son temps, dans un temps où il n’était pas aisé de faire du journalisme ; enfin, après avoir été heureux en