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petits mémoires littéraires

l’assaillir, — et elles étaient nombreuses et diverses, — mais vainement. Bien fin aurait été celui qui aurait pu se flatter de lire dans la physionomie de ce petit homme énigmatiquc et têtu, de ce Breton mystérieux et sentimental, bavard comme pas un dans l’intimité. Il saluait fréquemment du képi, se demandant sans doute intérieurement, comme moi, comme beaucoup de monde, la raison de ces acclamations.

Au milieu de la place du Carrousel, il eut un moment d’hésitation, qui dut être grave et décisif dans sa vie, et ses regards se tournèrent vers le palais envahi. Envahi, je me trompe ; le palais des Tuileries ne le fut pas au 4 septembre 1870, comme il l’avait été au 24 février 1848 ; il ne le fut pas, grâce à… Victorien Sardou, qui, avec la vivacité qu’il apporte en toute chose, avait organisé une garde de surveillance. C’est à cet homme de lettres qu’on doit de n’avoir pas vu se renouveler les scènes de désordre qui avaient signalé, vingt-deux ans auparavant, le départ de Louis-Philippe et de sa famille.

On peut faire des pièces de théâtre et être un citoyen énergique à ses heures. Victorien Sardou a eu une de ces heures-là au 4 septembre.

Donc, le général Trochu regardait le palais des Tuileries. Il le regardait comme un chien regarde une volaille à la broche. Évidemment, la pensée d’aller l’habiter traversa son cerveau. Je ne le quittais pas des yeux, étant à six pas de lui.

— Ira-t-il ? dis-je à Sixte Delorme, qui m’accompagnait. (Je cite mes témoins.)

— Eh ! eh !

— Oui… non…

— S’il y va, c’est la dictature ! murmura Sixte Delorme.

Pendant ce temps, le général avait poussé son che-