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petits mémoires littéraires

Or, il avait remarqué depuis quelque temps, dans son propre Journal des Débats, tout en haut, dans la partie qu’on appelle le « Bulletin politique », un rédacteur selon ses vœux, appliqué à sa besogne, jetant aussi peu d’éclat que possible. C’était Clément Caraguel. Jules Janin l’observa en secret, mystérieusement, silencieusement, jusqu’au jour où il se dit, comme en un mélodrame d’Anicet Bourgeois ou de Dennery : — Voilà l’homme qu’il me faut !

Caraguel était, en effet, le successeur tel qu’il l’avait rêvé, froid, calme, flegmatique, sans ambition. Caraguel ne trompa point l’attente de Janin, qui put se coucher dans la tombe en emportant la douce conviction de n’avoir point été remplacé.

En dehors de ses articles de journaux. Clément Caraguel a laissé peu de traces, quoiqu’il ait beaucoup écrit.

Il a donné sa mesure littéraire dans une petite comédie en un acte, représentée au Théâtre-Francais. Alfred de Musset avait fait le Chandelier, Caraguel fit le Bougeoir. Le bougeoir, c’est-à-dire un ustensile bourgeois, vulgaire, sans cérémonie, utile. Tout le talent de Caraguel tient dans ce Bougeoir, qui a été promené sur la scène un nombre de fois incalculable, et particulièrement bien plus souvent que le Chandelier. Après ce grand effort, on s’attendait à quelque autre manifestation dramatique ; ce succès paraissait appeler une suite. Point. Clément Caraguel n’avait que son Bougeoir dans le ventre. On eut beau le solliciter, il en resta à son Bougeoir.

L’homme avait bien l’estampille de son pays, il en avait gardé l’accent aussi. Les cheveux et la barbe