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petits mémoires littéraires

La conversation roula sur Tragaldabas, l’événement littéraire du jour ; j’y pris part, et Balzac m’adressa plusieurs fois directement la parole. Sa voix avait beaucoup de charme. Mais, je le répète, la somme de vitalité était moins grande. Ressentait-il déjà les premières atteintes du mal qui devait l’emporter deux ans plus tard ?…

Au bout d’une heure, il prit congé. Ses traits étaient pour toujours gravés dans ma mémoire.

Il n’y a guère eu d’écrivain plus injurié que Balzac, si ce n’est pourtant Victor Hugo.

Dans le commencement, on l’avait affublé de ce surnom insultant : le plus fécond de nos romanciers.

Lui, la conscience absolue ! lui, le travail douloureux ! lui, la pensée profonde ! On a pu se tromper à ce point de vouloir le comparer aux inventeurs du roman-feuilleton !

Pauvre, pauvre Balzac !

Une lettre intime de lui (No 254 du catalogue Charavay) contient cet aveu désolant : « Je suis vieux de souffrances… Je n’ai même pas eu de revers, j’ai toujours été courbé sous un poids terrible. Rien ne peut vous donner une idée de ma vie jusqu’à vingt-deux ans ! »

Au moment où il pouvait se croire à l’apogée de sa gloire, il eut un procès avec la Revue de Paris qui devint pour lui une nouvelle source d’outrages. Cette fois, les avocats s’en mêlèrent, et l’on sait quel est leur atticisme lorsqu’ils se mettent en frais littéraires. Me Chaix d’Est-Ange sut joliment dire son fait à l’auteur de la Peau de chagrin :

« Un homme dont tout le monde sait l’importance, ou plutôt un homme qui donne une grande impor-