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petits mémoires littéraires

va se faire sentir tout à l’heure : « Fidèle à votre système de déification, vous nous montrez toujours le dévouement, la vertu, concentrés dans cette moitié du genre humain, si forte de l’esclavage dont vous la plaignez, si puissante de nos rigueurs, et qui vous a, prouvé, par vos succès, que sa faiblesse est, de toutes les influences de ce monde, la plus dominatrice. »

Nous retrouvons, peu de temps après sa réception, notre académicien au théâtre, tantôt seul, tantôt avec Scribe. Il n’y ressaisit pas la veine d’autrefois. Le Pamphlet échoue ; les Doigts de fée sont froidement accueillis ; on s’étonne du nombre de vers prosaïques contenus dans Un jeune homme qui ne fait rien.

En 1861, la reconnaissance le pousse à écrire, pour madame Ristori, Beatrix ou la Madone de l’art, longue comédie représentée à l’Odéon. C’était la première fois que madame Ristori allait jouer en français.

Beatrix est moins une pièce qu’une biographie de madame Ristori, qu’un poème à son génie, qu’un dithyrambe à sa beauté, qu’une ode à sa vertu. Si haut placée qu’ait été cette tragédienne dans l’admiration et dans l’estime d’une partie de ses contemporains, il est permis de regretter une apothéose aussi affligeante pour sa modestie, — en supposant de la modestie à madame Ristori. D’ordinaire, les pièces du genre de celle de M. Legouvé n’accompagnent que des exhibitions de nains on de géants ; appliquées à des talents, elles ont quelque chose de puéril ou d’offensant.

J’ai dit que M. Legouvé était un beau liseur : il détaille avec finesse, il compte des pauses, il prend des temps, il a des sourires, des inflexions, des réticences, des attitudes ; il se possède enfin. Il n’y a pas de bonne fête à l’Académie sans une lecture de M. Ernest