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petits mémoires littéraires

Saint-Eustache, je me pris à penser aux luttes des Bourguignons et des Armagnacs, et je croyais voir s’élever autour de moi les fantômes des combattants de cette époque… Je me pris de querelle avec un facteur qui portait sur sa poitrine une plaque d’argent, et que je disais être le duc Jean de Bourgogne. »

La folie de Gérard de Nerval est surtout une folie érudite. Mais, à force de conscience, ses divagations finissent par emprunter un caractère de puérilité.

« Dans la rue du Coq, j’achetai un chapeau, et, pendant que Georges recevait la monnaie de la pièce d’or que j’avais jetée sur le comptoir, je continuai ma route et j’arrivai aux galeries du Palais-Royal. Là, il me sembla que tout le monde me regardait. J’entrai au café de Foy, et je crus reconnaître dans un des habitués le père Bertin, des Débats. Ensuite, je traversai le jardin et je pris quelque intérêt à voiries rondes des petites filles.

» De là, je sortis des galeries, et je me dirigeai vers la rue Saint-Honoré. J’entrai dans une boutique pour acheter un cigare, et, quand je sortis, la foule était si compacte que je faillis être étouffé. Trois de mes amis me dégagèrent en répondant de moi et me firent monter dans un fiacre. On me conduisit à l’hospice de la Charité.

Baudelaire doit-il être classé parmi les fous ? Son cas était particulier, du moins : la paralysie avait déterminé chez lui non pas la perte de la parole, mais la perte de la faculté de s’exprimer. En d’autres termes, il avait perdu son dictionnaire. Il ne lui restait plus que le cri, ou plutôt un seul mot, une exclamation vulgaire, — cré nom ! — qui lui servait à tout rendre. Les yeux avaient gardé une certaine par-