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petits mémoires littéraires

tie de leur éclat de leur intelligence, mais il ne fallait pas trop y croire.

Armand Barthet, du même âge environ que Baudelaire, le suivit de peu d’années dans le gouffre. Il avait toujours été bruyant, remuant, piaillant comme un moineau, — son Moineau de Lesbie. Au demeurant, le meilleur garçon du monde. D’où vient que sa folie prit tout à coup un caractère homicide des plus étranges, et qu’il tourna un jour contre lui-même le rasoir du chanoine Fulbert ? — Oh ! Barthet, à quoi pensiez-vous en ce moment ? Et comme cette façon d’accélérer votre trépas vous ressemblait peu !

J’ai encore approché d’autres fous qui tenaient une plume et auxquels la plume a glissé des doigts :

Théodore Pelloquet, qui, parti de la place Pigalle, est allé échouer à l’hospice Saint-Pons, aux portes de Nice ;

Jean du Boys, qui a fait jouer une grande comédie en cinq actes et en vers au Théâtre-Français, la Volonté, et à qui sa volonté à lui a insensiblement échappé, — bon petit homme, gentil, inofensif…

De tous les fous de lettres, celui qui a le plus dérouté la science et qui, jusqu’à un certain point, a montré le tableau le plus rassurant, c’est le poète Antoni Deschamps, qui a vécu relativement très vieux, et qui est mort il y a quelques années, sinon guéri, du moins apaisé. Il avait commencé pourtant par la douleur aiguë et criante, et, comme Gérard de Nerval, qu’il précédait, il s’était mis à chercher dans l’analyse de son mal un soulagement intermittent. Les journaux et les revues retentissaient de ses plaintes poétiques :