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que lui venaient des preuves manifestes d’inimitié ou du moins d’antipathie. À cette existence pénible Jules Lecomle acquit cette fâcheuse allure cassante et nerveuse qui depuis ne le quitta jamais, même en des jours plus heureux, et qui devait ajouter de nouvelles hostilités aux anciennes.

La révolution de 1848 rouvrit à Jules Lecomte les portes de Paris. Il y reprit une place que personne, du reste, ne songea à lui disputer. N’avait-il pas, selon ce mot triste et cruel, « payé sa dette à la société ? » Les salons, dont il recherchait ardemment l’appui, par un sentiment sur lequel je n’ai pas besoin d’insister, ne se fermaient pas trop devant lui. C’était, il est temps de le dire, une nature essentiellement distinguée, un beau cavalier, grand, svelte, d’une mise irréprochablement correcte, avec une physionomie sévère, même chagrine, ce qui n’étonnera personne.

Il appela à son aide, pour s’introduire dans le monde, le feuilleton de l’Indépendance belge, dont il avait pris possession et dont il avait fait une chose très lue, très accréditée, non seulement à Bruxelles et à Paris, mais encore par toute l’Europe. Quelques années encore, et la Société des gens de lettres ne fit pas de difficultés à l’admettre dans ses rangs. C’était un grand pas. Jules Lecomte put croire qu’il avait définit ivement enterré son passé.

Nul ne se montra, d’ailleurs, plus obligeant que lui, dans le courrier de l’Indépendance, comme plus tard, dans la chronique du Monde illustré ; il avait les mains pleines de réclames ingénieuses et souvent renouvelées pour les gens auxquels il croyait devoir de la reconnaissance ou pour ceux dont il voulait acquérir l’amitié. Habile ! dira-t-on ; je n’ai jamais prétendu le contraire ; mais j’en sais beaucoup qui ont