Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
petits mémoires littéraires

à ma mise en liberté immédiate ; je me trompais comme un innocent que j’étais : il me restait encore à comparaître devant un juge d’instruction.

Par malheur, les juges d’instruction n’étaient pas faciles à trouver en ce moment. On était, comme je l’ai dit, dans les jours gras. Lundi gras, mardi gras se passèrent, le mercredi des cendres pareillement ; point de juges d’instruction. Je commençais à devenir véritablement perplexe.

Je m’étais lié avec mon geôlier, qui m’avait prêté des livres de sa bibliothèque particulière, pour me distraire, entre autres le Chevalier d’Harmental, par Alexandre Dumas. Le jeudi, les juges ne se souciaient pas encore de rentrer en fonctions. Vendredi, je recommençais pour la troisième fois le Chevalier d’Harmenlal, lorsque enfin on vint m’avertir qu’un juge d’instruction m’attendait pour m’interroger.

Ce magistrat me connaissait. Il s’écria en me voyant, autant qu’un magistrat peut s’écrier, et dit :

— Tiens ! qu’est-ce que vous venez donc faire chez nous ?

Chez nous était adorable !

— J’allais vous le demander, lui répondis-je.

Au bout de cinq minutes, il signait l’ordre de ma délivrance. Incarcéré le dimanche, j’étais rendu à la liberté le vendredi.

J’appris que les conspirateurs mes co-détenus avaient été relâchés le même jour.

Il ne faudrait pas se hâter de croire cependant que ma libération eût été le simple fait de la volonté du juge d’instruction.

J’ai su plus tard que les démarches combinées de Méry et de Madame Judith, de la Comédie française, n’y avaient pas été étrangères.