Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/16

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Gyndus pour la peur qu’il avoit eu en la passant : et Caligula ruina une tres belle maison, pour le plaisir que sa mere y avoit eu. Le peuple disoit en ma jeunesse qu’un Roy de noz voysins, ayant receu de Dieu une bastonade, jura de s’en venger : ordonnant que de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny autant qu’il estoit en son auctorite, qu’on ne creust en luy. Par où on vouloit peindre non tant la sottise que la gloire naturelle à la nation de quoy estoit le compte. Ce sont vices tousjours conjoincts, mais telles actions tiennent, à la vérité, un peu plus encore d’outrecuidance que de bestise. Augustus Cesar, ayant esté battu de la tampeste sur mer, se print à dessier le Dieu Neptunus, et en la pompe des jeux Circenses fit oster son image du reng où elle estoit parmy les autres dieux, pour se venger de luy. En quoy il est encore moins excusable que les precedens, et moins qu’il ne fut depuis, lors qu’ayant perdu une bataille sous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colere et de desespoir, choquant sa teste contre la muraille, en s’escriant : Varus, rens moy mes soldats. Car ceux là surpassent toute follie, d’autant que l’impieté y est joincte, qui s’en adressent à Dieu mesmes, ou à la fortune, comme si elle avoit des oreilles subjectes à nostre batterie, à l’exemple des Thraces qui, quand il tonne ou esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d’une vengeance titanienne, pour renger Dieu à raison, à coups de flesche. Or, comme dit cet ancien poète chez Plutarque, Point ne se faut courroucer aux affaires. Il ne leur chaut de toutes nos cholères. Mais nous ne dirons jamais assez d’injures au desteglement de nostre esprit.

Si le chef d’une place assiegée doit sortir pour parlementer
Chap. V.


LVcivs Marcius, Legat des Romains, en la guerre contre Perseus, Roy de Macedoine, voulant gaigner le temps qu’il luy falloit encore à mettre en point son armée, sema des entregets d’accord, desquels le Roy endormy accorda trefve pour quelques jours, fournissant par ce moyen son ennemy d’oportunité et loisir pour s’armer : d’où le Roy encourut sa derniere ruine. Si est ce, que les vieils du Senat, memoratifs des mœurs de leurs peres, accuserent cette pratique comme ennemie de leur stile antien : qui fut, disoient ils, combattre de vertu, non de finesse, ni par surprinses et rencontres de nuict : ny par fuittes apostées, et recharges inopinées : n’entreprenans guerre qu’apres l’avoir denoncée, et souvent apres avoir assigné l’heure et lieu de la bataille. De cette conscience ils renvoièrent à Pyrrhus son traistre medecin, et aux Falisques leur meschant maistre d’escole. C’estoient les formes vrayment Romaines, non de la Grecque subtilité et astuce Punique, où le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peut servir pour le coup ; mais celuy seul se tient pour surmonté, qui sçait l’avoir esté ny par ruse ny de sort, mais par vaillance, de troupe à troupe, en une loyalle et juste guerre. Il appert bien par le langage de ces bonnes gens qu’ils n’avoient encore receu cette belle sentence :

dolus an virtus quis in hoste requirat ?