Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/80

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Prince. Où pour reigler la communauté des biens, qui s’y observe, certains Magistrats souverains ont charge universelle de la culture des terres et de la distribution des fruits, selon le besoing d’un chacun. Où l’on pleure la mort des enfans, et festoye l’on celle des vieillarts. Où ils couchent en des licts dix ou douze ensemble avec leurs femmes. Où les femmes qui perdent leurs maris par mort violente se peuvent remarier, les autres non. Où l’on estime si mal de la condition des femmes, qu’on y tue les femelles qui y naissent, et achepte l’on des voisins des femmes pour le besoing. Où les maris peuvent repudier sans alleguer aucune cause, les femmes non pour cause quelconque. Où les maris ont loy de les vendre si elles sont steriles. Où ils font cuire le corps du trespassé, et puis piler, jusques à ce qu’il se forme comme en bouillie laquelle ils meslent à leur vin, et la boivent. Où la plus desirable sepulture est d’estre mangé des chiens, ailleurs des oiseaux. Où l’on croit que les ames heureuses vivent en toute liberté, en des champs plaisans, fournis de toutes commoditez ; et que ce sont elles qui font cet echo que nous oyons. Où ils combatent en l’eau, et tirent seurement de leurs arcs en nageant. Où, pour signe de subjection, il faut hausser les espaules et baisser la teste, et deschausser ses souliers quand on entre au logis du Roy. Où les Eunuques qui ont les femmes religieuses en garde, ont encore le nez et lèvres à dire, pour ne pouvoir estre aymez ; et les prestres se crevent les yeux pour accointer leurs demons, et prendre les oracles. Où chacun faict un Dieu de ce qui luy plaist, le chasseur d’un lyon ou d’un renard, le pescheur de certain poisson, et des Idoles de chaque action ou passion humaine : le soleil, la lune, et la terre sont les dieux principaux ; la forme de jurer c’est toucher la terre, regardant le soleil ; et y mange l’on la chair et le poisson crud. Où le grand serment, c’est jurer le nom de quelque homme trespassé qui a esté en bonne reputation au païs, touchant de la main sa tumbe. Où les estrenes annuelles que le Roy envoye aux princes ses vasseaux, c’est du feu. L’ambassadeur qui l’apporte, arrivant, l’ancien feu est esteint tout par tout en la maison. Et de ce feu nouveau, le peuple despendant de ce prince en doit venir prendre chacun pour soy, sur peine de crime de leze majesté. Où quand le Roy, pour s’adonner du tout à la devotion (comme ils font souvent), se retire de sa charge, son premier successeur est obligé d’en faire autant, et passe le droit du Royaume au troisieme successeur. Où l’on diversifie la forme de la police, selon que les affaires le requierent : on depose le Roy quand il semble bon, et substitue l’on des anciens à prendre le gouvernement de l’estat et le laisse l’on par fois aussi és mains de la commune. Où hommes et femmes sont circoncis et pareillement baptisés. Où le soldat qui en un ou divers combats est arrivé à presenter à son Roy sept testes d’ennemis, est faict noble. Où l’on vit soubs cette opinion si rare et incivile de la mortalité des ames. Où les femmes s’accouchent sans plaincte et