Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/103

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capables d’entendre. Car ce monde est un temple tressainct, dedans lequel l’homme est introduict, pour y contempler des statues, non ouvrées de mortelle main, mais celles que la divine pensée a faict sensibles, le Soleil, les estoilles, les eaux et la terre, pour nous representer les intelligibles. Les choses invisibles de Dieu, dit Sainct Paul, apparoissent par la creation du monde, considerant sa sapience eternelle, et sa divinité par ses œuvres.

Atque adeo faciem coeli non invidet orbi
Ipse Deus, vultúsque suos corpúsque recludit
Semper volvendo : séque ipsum inculcat Et offert,
Ut bene cognosci possit, doceátque videndo
Qualis eat, doceátque suas attendere leges.

Or nos raisons et nos discours humains c’est comme la matiere lourde et sterile : la grace de Dieu en est la forme : c’est elle qui y donne la façon et le prix. Tout ainsi que les actions vertueuses de Socrates et de Caton demeurent vaines et inutiles pour n’avoir eu leur fin, et n’avoir regardé l’amour et obeyssance du vray createur de toutes choses, et pour avoir ignoré Dieu : Ainsin est-il de nos imaginations et discours : ils ont quelque corps, mais une masse informe, sans façon et sans jour, si la foy et grace de Dieu n’y sont joinctes. La foy venant à teindre et illustrer les argumens de Sebonde, elle les rend fermes et solides : ils sont capables de servir d’acheminement, et de premiere guyde à un apprentif, pour le mettre à la voye de ceste cognoissance : ils le façonnent aucunement et rendent capable de la grace de Dieu, par le moyen de laquelle se