Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/114

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massif, de voir encores, au pris de quelque desloyauté que ce fut, quel pouvoit estre le reste des thresors de ce Roy, et jouyr librement de ce qu’il avoit reservé. On luy apposta une fauce accusation et preuve, qu’il desseignoit de faire souslever ses provinces pour se remettre en liberté. Sur-quoy, par beau jugement de ceux mesme qui luy avoient dressé cette trahison, on le condemna à estre pendu et estranglé publiquement, luy ayant faict racheter le tourment d’estre bruslé tout vif par le baptesme qu’on luy donna au supplice mesme. Accident horrible et inouy, qu’il souffrit pourtant sans se démentir ny de contenance ny de parole, d’une forme et gravité vrayement royalle. Et puis, pour endormir les peuples estonnez et transis de chose si estrange, on contrefit un grand deuil de sa mort, et luy ordonna l’on des somptueuses funerailles. L’autre, Roy de Mexico, ayant long temps defendu sa ville assiegée et montré en ce siege tout ce que peut et la souffrance et la perseverance, si onques prince et peuple le montra, et son malheur l’ayant rendu vif entre les mains des ennemis, avec capitulation d’estre traité en Roy (aussi ne leur fit-il rien voir, en la prison, indigne de ce tiltre) ; ne trouvant poinct apres cette victoire tout l’or qu’ils s’estoient promis, apres avoir tout remué et tout fouillé, se mirent à en cercher des nouvelles par les plus aspres geines dequoy ils se peurent adviser, sur les prisonniers qu’ils tenoient. Mais, n’ayant rien profité, trouvant des courages plus forts que leurs torments, ils en vindrent en fin à telle rage que, contre leur foy et contre tout droit des gens, ils condamnerent le Roy mesme et l’un des principaux seigneurs de sa court à la geine en presence l’un de l’autre. Ce seigneur, se trouvant forcé de la douleur, environné de braziers ardens, tourna sur la fin piteusement sa veue vers son maistre, comme pour luy demander mercy de ce qu’il n’en pouvoit plus. Le Roy, plantant fierement et rigoureusement les yeux sur luy,