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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/102

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ESSAIS DE MONTAIGNE.

père de la Royne, mère du Roy, assiégeant Mondolphe, place d’Italie, aux terres qu’on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à vne pièce qui le regardoit, bien luy seruit de faire la cane : car autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la teste, luy donnoit sans doute dans l’estomach. Pour en dire le vray, ie ne croy pas que ces mouuements se fissent auecques discours : car quel iugement pouuez-vous faire de la mire haute ou basse en chose si soudaine ? et est bien plus aisé à croire, que la fortune fauorisa leur frayeur : et que ce seroit moyen vne autre fois aussi bien pour se ietter dans le coup, que pour l’euiter. Ie ne me puis deffendre si le bruit esclatant d’vne harquebusade vient à me fraper les oreilles à l’improuueu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre, que ie n’en tressaille : ce que i’ay veu encores aduenir à d’autres qui valent mieux que moy.Ny n’entendent les Stoiciens, que l’ame de leur sage puisse résister aux premières visions et fantaisies qui luy suruiennent : ains comme à vne subiection naturelle consentent qu’il cède au grand bruit du ciel, ou d’vne ruine, pour exemple, iusques à la palleur et contraction : ainsin aux autres passions, pourueu que son opinion demeure sauue et entière, et que l’assiette de son discours n’en souffre atteinte ny altération quelconque, et qu’il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy, qui n’est pas sage, il en va de mesmes en la première partie, mais tout autrement en la seconde. Car l’impression des passions ne demeure pas en luy superficielle : ains va penetrant iusques au siege de sa raison, l’infectant et la corrompant. Il iuge selon icelles, et s’y conforme. Voyez bien disertement et plainement l’estat du sage Stoique :

Mens immola manet, lacrymæ voluuntur inanes.


Le sage Peripateticien ne s’exempte pas des perturbations, mais il les modère.