Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
ESSAIS DE MONTAIGNE.

puis. Toutesfois quand il y auroit vne si grossière et apparante ou ignorance ou couardise, qu’elle surpassast toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuue de meschanceté et de malice, et de la chastier pour telle.

CHAPITRE XVI.

Vn traict de quelques ambassadeurs.


Iobserve en mes voyages cette practique, pour apprendre tousiours quelque chose, par la communication d’autruy, qui est vne des plus belles escholes qui puisse estre, de ramener tousiours ceux, auec qui ie confère, aux propos des choses qu’ils sçauent le mieux.

Basti al nocchiero ragionar de’ venti,
Al bifolco dei tort, et le sue piaghe
Conti’l guerrier, conti ’l pastor gli armenti.


Car il aduient le plus souuent au contraire, que chacun choisit plustost à discourir du mestier d’vn autre que du sien : estimant que c’est autant de nouuelle réputation acquise : tesmoing le reproche qu’Archidamus feit à Periander, qu’il quittoit la gloire d’vn bon Médecin, pour acquérir celle de mauuais Poëte. Voyez combien César se desploye largement à nous faire entendre ses inuentions à bastir ponts et engins : et combien au prix il va se serrant, où il parle des offices de sa profession, de sa vaillance, et conduite de sa milice. Ses exploicts le vérifient assez Capitaine excellent : il se veut faire cognoistre excellent Ingénieur ; qualité aucunement estrangere. Le vieil Dionysius estoit très grand chef de guerre, comme il conuenoit à sa fortune : mais il se trauailloit à donner principale recommendation de soy, par la poésie : et si n’y sçauoit guère. Vn homme de vacation iuridique, mené ces iours passez voir vne estude fournie de toutes sortes de liures de son mestier, et de tout autre mestier, n’y trouua nulle occasion de s’entretenir : mais il s’arresta à gloser rudement et magistralement vne barricade logée sur la vis de l’estude, que cent Capitaines et soldats recognoissent tous les iours, sans remorque et sans offense.

Optat ephippia bos piger, optât arare caballus.


Par ce train vous ne faictes iamais rien qui vaille. Ainsin, il faut trauailler de reietter tousiours l’architecte, le peintre, le cordonnier,