Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/220

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chant à conniller et à se desrober, il les enflamma et appella sur soy.On deliberoit de faire vne montre generalle de diuerses trouppes en armes, (c’est le lieu des vengeances secrettes, et n’est point où en plus grande seureté on les puisse exercer) il y auoit publiques et notoires apparences, qu’il n’y faisoit pas fort bon pour. aucuns, ausquels touchoit la principalle et nécessaire charge de les recognoistre. Il s’y proposa diuers conseils, comme en chose difficile, et qui auoit beaucoup de poids et de suitte. Le mien fut, qu’on euitast sur tout de donner aucun tesmoignage de ce double, et qu’on s’y trouuast et meslast parmy les files. Là teste droicte, et le visage ouuert, et qu’au lieu d’en retrancher aucune chose, à quoy les autres opinions visoient le plus, au contraire, l’on sollicitast les Capitaines d’aduertir les soldats de faire leurs salues belles et gaillardes en l’honneur des assistans, et n’espargner leur poudre. Cela serait de gratification enuers ces trouppes suspectes, et engendra dés lors en auant vne mutuelle et vtile confidence.La voye qu’y tint Iulius Cæsar, ie trouue que c’est la plus belle, qu’on y puisse prendre. Premièrement il essaya par clémence, à se faire aymer de ses ennemis mesmes, se contentant aux coniurations qui luy estoient descouuertes, de déclarer simplement qu’il en estoit aduerti. Cela faict, il print vne tres-noble resolution, d’attendre sans effroy et sans solicitude, ce qui luy en pourroit aduenir, s’abandonnant et se remettant à la garde des Dieux et de la fortune. Car certainement c’est l’estât où il estoit quand il fut tué.Vn estranger ayant dict et publié par tout qu’il pourroit instruire Dionysius Tyran de Syracuse, d’vn moyen de sentir et descouurir en toute certitude, les parties que ses subiets machineroient contre luy, s’il luy vouloit donner vne bonne pièce d’argent, Dionysius en estant aduerty, le fit appeller à soy, pour s’esclaircir d’vn art si nécessaire à sa conseruation ; cet estranger luy dict, qu’il n’y auoit pas d’autre art, sinon qu’il luy fist deliurer vn talent, et se ventast d’auoir apris de luy vn singulier secret. Dionysius trouua cette inuention bonne, et luy fit compter six cens escus. Il n’estoit pas vray-semblable, qu’il eust donné si grande somme à vn homme incogneu, qu’en recompense d’vn tres-vtile apprentissage, et seruoit cette réputation. à tenir ses ennemis en crainte. Pourtant les Princes sagement publient les aduis qu’ils reçoiuent des menées qu’on dresse contre