Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/245

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qu’à Sparte il n’a pas récolté un sou. « Ces Spartiates, dit Hippias, sont des idiots qui ne savent ni faire des vers, ni compter ; ils ne sont à même d’apprécier à leur valeur, ni la grammaire, ni le rythme, ne s’intéressant qu’à l’ordre de succession des rois, au développement et à la décadence des États et à un tas de sornettes pareilles. » Quand il eut achevé, Socrate l’amena peu à peu à convenir de l’excellence de la forme de leur gouvernement, de leurs vertus domestiques et du bonheur de leur vie privée ; lui laissant deviner, comme conclusion, l’inutilité des arts qu’il enseignait.

Les sciences amollissent et efféminent les courages. — De nombreux exemples nous apprennent, par ce qui se produisit dans ce gouvernement si bien organisé pour la guerre, comme dans tous autres établis sur le même principe, que l’étude des sciences amollit et efféminé les courages, plutôt qu’elle ne les affermit et les aguerrit. — L’État le plus puissant du monde en ce moment, semble être celui des Turcs qui, eux aussi, sont dressés à priser fort la carrière des armes et à mépriser les lettres. Rome était plus vaillante avant d’être devenue savante. Les nations les plus belliqueuses de nos jours, sont les plus grossières et les plus ignorantes ; comme preuve, je citerai les Scythes, les Parthes, Tamerlan. — Quand les Goths ravagèrent la Grèce, ce qui sauva les bibliothèques d’être livrées au feu, ce fut que l’un des leurs émit l’avis de les laisser intactes à leurs ennemis, qui pour se distraire y trouveraient des occupations sédentaires et oisives qui les détourneraient des exercices militaires. — Quand notre roi Charles VIII se fut emparé, sans presque avoir à tirer l’épée du fourreau, du royaume de Naples et d’une bonne partie de la Toscane, les seigneurs de sa suite attribuèrent cette conquête, faite avec une facilité inespérée, à ce que les princes et la noblesse d’Italie passaient leur temps dans les travaux de l’esprit et l’étude de la science, plutôt qu’ils ne s’appliquaient à devenir vigoureux et guerriers.