Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XXV.

De l’Institution des enfans,
à Madame Diane de Foix, Contesse de Gurson.


Ie ne vis iamais père, pour bossé ou teigneux que fust son fils, qui laissast de l’aduoüer : non pourtant, s’il n’est du tout enyuré de cet’affection, qu’il ne s’apperçoiue de sa défaillance : mais tant y a qu’il est sien. Aussi moy, ie voy mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resueries d’homme, qui n’a gousté des sciences que la crouste première en son enfance, et n’en a retenu qu’vn gênerai et informe visage : vn peu de chaque chose, et rien du tout, à la Françoise. Car en somme, ie sçay qu’il y a vne Médecine, vne Iurisprudence, quatre parties en la Mathématique, et grossièrement ce à quoy elles visent. Et à l’aduenture encore sçay-ie la prétention des sciences en gênerai, au seruice de nostre vie : mais d’y enfoncer plus auant, de m’estre rongé les ongles à l’estude d’Aristote monarque de la doctrine moderne, ou opiniâtre après quelque science, ie ne l’ay iamais l’aict : ny n’est art dequoy ie peusse peindre seulement les premiers linéaments. Et n’est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus sçauant que moy : qui n’ay seulement pas dequoy l’examiner sur sa première leçon. Et si l’on m’y force, ie suis contraint assez ineptement, d’en tirer quelque matière de propos vniuersel, sur quoy l’examine son iugement naturel : leçon, qui leur est autant incognue, comme à moy la leur.Ie n’ay dressé commerce auec aucun liure solide, sinon Plutarche et Seneque, où ie puyse comme les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. I’en attache quelque chose à ce papier, à moy, si peu que rien. L’histoire, c’est mon gibier en matière de liures, ou la poésie, que i’ayme d’vne particulière inclination : car, comme disoit Cleanthes, tout ainsi que la voix contrainte dans l’étroit canal d’vne trompette