Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gayer et resiouïr ceux qui les traiclent, non les renfroigner et contrister.

Deprendas animi tormenta latentis in ægro
Corpore, deprendas et gaudia, sumit vtrumque
Inde habitum faciès.


L’ame qui loge la philosophie, doit par sa santé rendre sain encores le corps : elle doit faire luyre iusqucs au dehors son repos, et son aise : doit former à son moule le port extérieur, et l’armer par conséquent d’vne gratieuse fierté, d’vn maintien actif, et allaigre, et d’vne contenance contante et débonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est vue esiouissance constante : son estât est comme des choses au dessus de la lune, tousiours serein. C’est Baroco et Baralipton, qui rendent leurs supposts ainsi crotez et enfumez ; ce n’est pas elle, ils ne la cognoissent que par ouyr dire. Comment ? elle faict estât de sereiner les tempestes de l’ame, et d’apprendre la faim et les fiebures à rire : non par quelques Epicycles imaginaires, mais par raisons naturelles et palpables. Elle a pour son but, la vertu : qui n’est pas, comme dit l’eschole, plantée à la teste d’vn mont coupé, rabotteux et inaccessible. Ceux qui l’ont approchée, la tiennent au rebours, logée dans vne belle plaine fertile et fleurissante : d’où elle void bien souz soy toutes choses ; mais si peut on y arriuer, qui en sçait l’addresse, par des routtes ombrageuses, gazonnées, et doux fleurantes ; plaisamment, et d’vne pante facile et polie, comme est celle des voûtes célestes. Pour n’auoir hanté cette vertu suprême, belle, triumphante, amoureuse, délicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irréconciliable d’aigreur, de desplaisir, de crainte, et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compagnes : ils sont allez selon leur foiblesse, faindre cette sotte image, triste, querelleuse, despite, menaceuse, mineuse, et la placer sur vn rocher à l’escart, emmy des ronces : fantosme à estonner les gents.Mon gouuerneur qui cognoist deuoir remplir la volonté de son disciple, autaat ou plus d’affection, que de reuerence cnuers la vertu, luy sçaura dire, que les poètes suiuent les humeurs communes : et luy faire toucher au doigt, que les Dieux ont mis plustost la sueur aux aduenues des cabinetz de Venus que de Pallas. Et quand il commencera de se sentir, luy présentant Bradamant ou Angélique, pour maistresse à ioüir : et d’vne beauté naïue, actiue, généreuse, non hommasse, mais virile, au prix d’vne beauté molle, affettée, délicate, artificielle ; l’vne trauestie en garçon, coiffée d’vn morrion luisant : l’autre vestue en garce, coiffée d’vn attiffet emperlé : il