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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/306

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cément en office pour les autres estudes de la règle. Car les principales parties que mon père cherchoit à ceux à qui il donnoit charge de moy, c’estoit la debonnaireté et facilité de complexion. Aussi n’auoit la mienne autre vice, que langueur et paresse. Le danger n’estoit pas que ie fisse mal, mais que ie ne fisse rien. Nul ne prognostiquoit que ie deusse deuenir mauuais, mais inutile : on y preuoyoit de la fainéantise, non pas de la malice. Ie sens qu’il en est aduenu comme cela. Les plaintes qui me cornent aux oreilles, sont telles : Il est oisif, froid aux offices d’amitié, et de parenté : et aux offices publiques, trop particulier, trop desdaigneux. Les plus iniurieux mesmes ne disent pas, Pourquoy a il prins, pourquoy n’a-il payé ? mais, Pourquoy ne quitte-il, pourquoy ne donne-il ? Ie receuroy à faueur, qu’on ne desirast en moy que tels effects de supererogation. Mais ils sont iniustes, d’exiger ce que ie ne doy pas, plus rigoureusement beaucoup, qu’ils n’exigent d’eux ce qu’ils doiuent. En m’y condemnant, ils effacent la gratification de l’action, et la gratitude qui m’en seroit deuë. Là où le bien faire actif, deuroit plus peser de ma main, en considération de ce que ie n’en ay de passif nul qui soit. Ie puis d’autant plus librement disposer de ma fortune, qu’elle est plus mienne : et de moy, que ie suis plus mien. Toutesfois si i’estoy grand enlumineur de mes actions, à l’aduenture rembarrerois-ie bien ces reproches ; et à quelques-vns apprendrois, qu’ils ne sont pas si offensez que ie ne face pas assez : que dequoy ie puisse faire assez plus que ie ne fay.Mon ame ne laissoit pourtant en mesme temps d’auoir à part soy des remuements fermes : et des iugements seurs et ouuerts autour des obiects qu’elle cognoissoit : et les digeroit seule, sans aucune communication. Et entre autres choses ie croy à la vérité qu’elle eust esté du tout incapable de se rendre à la force et violence. Mettray-ie en compte cette faculté de mon enfance, vue asseurance de visage, et soupplesse de voix et de geste, à m’appliquer aux rolles que i’entreprenois ? Car auant l’aage,

Alter ab vndecimo tum me vix ceperat annus :


i’ay soustenu les premiers personnages, es tragédies latines de Bucanan, de Guerente, et de Muret, qui se représentèrent en nostre collège de Guienne auec dignité. En cela, Andréas Goueanus nostre principal, comme en toutes autres parties de sa charge, fut sans comparaison le plus grand principal de France ; et m’en tenoit-on maistre ouurier. C’est vn exercice, que ie ne meslouë point aux ieunes enfans de maison ; et ay veu nos Princes s’y addonner de-