Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

II

C’est amour c’est amour, c’est luy seul, ie le sens ;
Mais le plus vif amour, la poison la plus forte,
A qui onq pauure cœur ait ouuerte la porte.
Ce cruel n’a pas mis vn de ses traitz perçans,

Mais arc, traits et carquois, et luy tout dans mes sens.
Encor vn mois n’a pas, que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines ie porte.
Et des-ja i’ay perdu, et le cœur et le sens.

Et quoy ? si cest amour à mesure croissoit,
Qui en si grand tourment dedans moy se conçoit ?
O croistz, si tu peuz croistre, et amende en croissant.

Tu te nourris de pleurs, des pleurs ie te prometz.
Et pour te refreschir, des souspirs pour iamais.
Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant.

III

C’est faict mon cœur, quitons la liberté.
Dequoy meshuy seruiroit la deffence,
Que d’agrandir et la peine et l’offence ?
Plus ne suis fort, ainsi que i’ay esté.

La raison fust vn temps de mon costé,
Or reuoltée elle veut que ie pense
Qu’il faut seruir, et prendre en recompence
Qu’oncq d’vn tel neud nul ne fust arresté.

S’il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n’a plus deuers soy la raison.
Je voy qu’amour, sans que ie le deserue.

Sans aucun droict, se vient saisir de moy ?
Et voy qu’encor il faut à ce grand Roy
Quand il a tort, que la raison luy serue.

IIII

C’estoit alors, quand les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuues va foulant,
Le raisin gras dessoubz le pied coulant.
Que mes douleurs furent encommencées.