Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/346

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À force de parler : s’on m’en peut exempter,
Ie quitte les sonnetz, ie quitte le chanter.
Qui me deffend le deuil, celuy la me guérisse.

VII

Quant à chanter ton los, par fois ie m’aduenture,
Sans oser ton grand nom, dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
Ie tremble de m’y perdre, et aux riues m’asseure.

Ie crains en loüant mal, que ie te face iniure.
Mais le peuple estonné d’ouir tant t’estimer,
Ardant de te connoistre, essaie à te nommer,
Et cherchant ton sainct nom ainsi à l’aduenture,

Esbloui n’attaint pas à veoir chose si claire,
Et ne te trouue point ce grossier populaire,
Qui n’ayant qu’vn moyen, ne voit pas celuy là :

C’est que s’il peut trier, la comparaison faicte
Des parfaictes du monde, vne la plus parfaicte,
Lors s’il a voix, qu’il crie hardimant la voyla.

VIII

Quand viendra ce iour la, que ton nom au vray passe
Par France, dans mes vers ? combien et quantes fois
S’en empresse mon cœur, s’en démangent mes doits ?
Souuent dans mes escrits de soy mesme il prend place.

Maugré moy ie t’escris, maugré moy ie t’efface.
Quand astrée viendroit et la foy et le droit,
Alors ioyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c’est à ce temps, que cacher il te face,

C’est à ce temps maling vne grande vergogne
Donc Madame tandis tu seras ma Dourdouigne.
Toutesf ois laisse moy, laisse moy ton nom mettre.

Ayez pitié du temps, si au iour ie te metz,
Si le temps ce cognoist, lors ie te le prometz,
Lors il sera doré, s’il le doit iamais estre.

IX

O entre tes beautez, que ta constance est belle.
C’est ce cœur asseuré, ce courage constant,
C’est parmy tes vertus, ce que l’on prise tant :
Aussi qu’est-il plus beau, qu’vne amitié fidelle ?