Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/347

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mal j’agrandisse. Si on le peut, qu’on m’en exempte, et dès lors je cesse mes sonnets et cesse de chanter. Qu’il me guérisse, celui qui m’interdît le deuil !

VII

Si à chanter tes louanges parfois je me risque, je n’ose dans mes vers ton grand nom exprimer ; sondant le moins profond de cette vaste mer, je tremble de m’y perdre et aux rives m’assure. En te louant mal, je crains de te faire injure tandis que, d’autre part, la foule qu’intriguent ces éloges répétés, brûlant de te connaître, essaie de deviner et va à l’aventure s’enquérant de ton nom vénéré ; mais ébloui, si visible qu’il soit il ne le voit pas. Ce public grossier ne te découvre pas ; il en a le moyen cependant, mais ne s’en avise pas : que ne compare-t-il du monde toutes les perfections, et, entre toutes, que ne distingue-t-il la plus parfaite ; si alors il peut encore parler, qu’il crie hardiment : La voilà !

VIII

Quand viendra-t-il ce jour où, par mes vers, la France s’emplira de ton nom ? Combien mon cœur le souhaite, combien mes doigts brûlent de le tracer ! de lui-même souvent, il prend place. Malgré moi je l’écris, malgré moi je l’efface. Que la justice, la foi, le droit reviennent en ce monde, partout il rayonnera ; mais en ce temps présent, il nous le faut cacher, quelle honte en ces mauvais jours ! Jusque-là, ô ma Dame, tu seras ma Dordogne. Mais, de cette époque, aie pitié et laisse-moi, laisse-moi le lui révéler ; si un jour je l’écris, si notre temps le connaît, si jamais cela est, par moi, je le promets, en lettres d’or il le verra gravé.

IX

Que parmi tes diverses beautés, ta constance est belle ! Ton cœur intrépide, ton courage constant sont d’entre tes vertus ce qu’on prise le plus ; mais aussi qu’est-il de plus beau qu’une amitié fidèle ! N’imite pas la Vezère ta sœur,