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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/353

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toujours la sœur de ta sœur ? Et moi, simple que je suis, il a fallu que sur moi-même j’en fisse l’épreuve, pour en arriver à entendre ta parole ambiguë et tes chants de chasseur en quête de victimes. Tant que ton amour m’a captivé, j’aurais vaincu les vagues de la mer ; de quoi maintenant suis-je capable ? Quelle satisfaction ai-je de toi ? Qui enseignera la constance à ton cœur, alors que le mien n’a pu la lui apprendre !

XV

Ce n’est pas moi que l’on abuse ainsi ; ces ruses, on les emploie avec quelque enfant, dont le goût n’est pas encore éveillé, qui ne comprend pas ce qu’il entend ; mais moi je sais aimer ; je sais haïr aussi. Contente-toi de m’avoir jusqu’ici clos les yeux ; il est temps que j’y voie. Las et honteux je serai désormais d’avoir si mal placé mon temps et mes soucis ; et toi, m’ayant ainsi traité, oseras-tu jamais me parler de constance ? Tu prends plaisir à ma douleur extrême, tu me défends de sentir mon tourment et cependant tu veux bien que je meure en t’aimant ; mais si je ne sens, comment veux-tu que j’aime ?

XVI

Oh ! l’ai-je dit ? Est-ce un songe, ou ai-je vraiment proféré un tel blasphème ? Ma langue a-t-elle, à ce point, trahi la vérité ? Il faut que son honneur, de moi, par moi, sur moi, soit vengé. Mon cœur chez toi est logé, ô ma dame ; là où il est, inflige-lui quelque torture nouvelle ; fais-lui souffrir quelque peine cruelle ; fais, fais-lui tout, sauf lui donner congé. Je le sais, tu seras trop humaine ; tu ne pourras longtemps demeurer témoin de ma peine ; mais un tel forfait se peut-il pardonner ? À tout le moins, hautement de mes sonnets je