Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/354

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À tout le moins haut ie me desdiray
De mes sonnets, et me desmentiray,
Pour ces deux faux, cinq cent vrais ie t’en donne.

XVII

Si ma raison en moy s’est peu remettre,
Si recouurer astheure ie me puis,
Si i’ay du sens, si plus homme ie suis
le t’en mercie, ô bien heureuse lettre.

Qui m’eust (helas) qui m’eust sçeu recognoistre
Lors qu’enragé vaincu de mes ennuys.
En blasphémant madame ie poursuis ?
De loing, honteux, ie te vis lors paroistre

Ô sainct papier, alors ie me reuins.
Et deuers toy deuotement ie vins.
Ie te donrois vn autel pour ce faict,

Qu’on vist les traicts de cette main diuine.
Mais de les voir aucun homme n’est digne,
Ny moy aussi, s’elle ne m’en eust faict.

XVIII

I’estois prest d’encourir pour iamais quelque blasme.
De colère eschauffé mon courage brusloit.
Ma foie voix au gré de ma fureur branloit,
Ie despitois les dieux, et encore ma dame.

Lors qu’elle de loing iette vn breuet dans ma flamme
Ie le sentis soudain comme il me rabilloit,
Qu’aussi tost deuant luy ma fureur s’en alloit.
Qu’il me rendoit, vainqueur, en sa place mon ame.

Entre vous, qui de moy, ces merueilles oyez,
Que me dites vous d’elle ? et ie vous prie voyez,
S’ainsi comme ie fais, adorer ie la dois ?

Quels miracles en moy, pensez vous qu’elle fasse
De son œil tout puissant, ou d’vn ray de sa face.
Puis qu’en moy firent tant les traces de ses doigts.

XIX

Ie tremblois deuant elle, et attendois, transi.
Pour venger mon forfaict quelque iuste sentence,
À moy mesme consent du poids de mon offence,
Lors qu’elle me dict, va, ie te prens à mercy.