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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/355

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me veux dédire et me démentirai ; pour ces deux strophes si entachées de fausseté, je t’en voue cinq cents autres et celles-là diront vrai.

XVII

Si ma raison s’est pu remettre ; si, à cette heure, je puis me ressaisir : si j’ai du sens, si je redeviens homme, c’est à toi que je le dois, ô bienheureuse lettre ; et je t’en remercie ! Qui m’eût, hélas ! qui m’eût su reconnaître, quand en proie à la rage, vaincu par mes ennuis, de mes blasphèmes, je poursuivais ma dame. Mais lorsque de loin je te vis paraître, petit papier me venant d’elle et qui m’es si cher, honteux, je revins à moi et dévotement allai à toi. Pour consacrer ce fait j’élèverai un autel où seront exposés ces traits tracés par cette main divine ; mais de les voir aucun homme n’est digne, et moi non plus que tous si, à cet honneur, par toi-même je n’eusse été convié.

XVIII

J’étais sur le point d’encourir pour jamais quelque blâme ; de colère échauffé, mon courage brûlait ; ma voix, devenue folle, répondait au gré de ma fureur ; j’invectivais les dieux et ma dame avec eux. Et voilà que, de loin, elle jette un billet dans ma flamme et soudain je sens comme il me réconforte ; si bien qu’aussitôt, devant lui tombe ma fureur, tombe ma fureur, il l’emporte, et mon âme, par lui, redevient elle-même. Vous qui de moi entendez ces merveilles, que dites-vous d’elle ! Jugez, je vous prie, si, comme je le fais, je la dois adorer ! Quels miracles pensez-vous que puissent faire en moi son œil tout-puissant, les traits de son visage, alors qu’en tirent tant les traces de ses doigts.

XIX

Je tremblais devant elle, et, transi, conscient de la gravité de mon offense, en punition de mon forfait j’attendais une juste sentence, lorsqu’elle me dit : « Va, je te prends à merci ; que désormais partout ma gloire soit proclamée, em-