Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et deslors (grand miracle) en vn mesme moment
On veid tout à vn coup, du misérable amant
La vie et le tison, s’en aller en fumée.

XXII

Quand tes yeux conquerans estonné ie regarde,
I’y veoy dedans à clair tout mon espoir escript,
I’y veoy dedans amour, luy mesme qui me rit,
Et m’y monstre mignard le bon heur qu’il me garde.

Mais quand de te parler par fois ie me hazarde,
C’est lors que mon espoir desseiché se tarit.
Et d’aduouer iamais ton œil, qui me nourrit,
D’vn seul mot de saueur, cruelle tu n’as garde.

Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que ie dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui ie me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toy mesme se dresse,

Si ta bouche et tes yeux se veulent desmentir.
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les departir,
Et que ie prenne au mot de tes yeux la promesse.

XXIII

Ce sont tes yeux tranchans qui me font le courage
Ie veoy saulter dedans la gave liberté,
Et mon petit archer, qui mené à son costé
La belle gaillardise et plaisir le volage.

Mais après, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton cœur la fiere honnesteté.
Et condamné ie veoy la dure chasteté,
Là grauement assise et la vertu sauuage,

Ainsi mon temps diuers par ces vagues se passe.
Ores son œil m’appelle, or sa bouche me chasse.
Helas, en cest estrif, combien ay i’enduré.

Et puis qu’on pense auoir d’amour quelque asseurance,
Sans cesse nuict et iour à la seruir ie pense,
Ny encor de mon mal, ne puis estre asseuré.

XXIIII

Or dis-ie bien, mon espérance est morte.
Or est-ce faict de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair : maintenant ie veoy bien,
I’ay espousé la douleur que ie porte.