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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/373

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passé. — Dans ces contrées nouvelles, découvertes à notre époque, encore pures et vierges comparées aux nôtres, il est de coutume partout que toutes les idoles soient abreuvées de sang humain, parfois avec des raffinements horribles de cruauté. Les victimes sont brûlées vives, et, lorsqu’elles sont à moitié rôties, on les retire du brasier pour leur arracher le cœur et les entrailles ; ailleurs, on les écorche vives et de leur peau sanglante on en revêt ou on en masque d’autres, et on en agit ainsi même quand les victimes se trouvent être des femmes. Cela donne lieu parfois à de remarquables exemples de constance et de résolution ; ces malheureux, vieillards, femmes, enfants, destinés à être immolés, vont, quelques jours avant, quêtant eux-mêmes les aumônes pour l’offrande qui doit accompagner leur sacrifice et se présentent à la boucherie, chantant, dansant de concert avec les assistants.

Les ambassadeurs du roi de Mexico, voulant donner à Fernand Cortez une haute idée de la puissance de leur maître, après lui avoir dit qu’il avait trente vassaux, que chacun pouvait réunir cent mille guerriers et que lui-même résidait dans la ville la plus belle et la plus forte qui existât au monde, ajoutèrent qu’il était tenu envers les dieux à leur sacrifier cinquante mille hommes par an. Ils dirent même qu’il se maintenait en état de guerre avec certains grands peuples voisins, non seulement pour exercer la jeunesse de son empire, mais surtout pour pouvoir fournir à ces sacrifices avec des prisonniers de guerre. — Ailleurs, dans un bourg, à l’occasion de la venue de ce même Fernand Cortez, on sacrifia d’une seule fois cinquante hommes en son honneur. — Encore un fait : quelques-uns de ces peuples vaincus par lui, lui envoyèrent une députation pour reconnaître son autorité et rechercher son amitié ; ces messagers lui offrirent des présents de trois sortes, en lui disant : « Seigneur, voilà cinq esclaves : si tu es un dieu fier, qui se nourrisse de chair et de sang, mange-les, nous ne t’en aimerons que davantage ; si tu es un dieu débonnaire, voilà de l’encens et des plumes ; si tu es un homme, prends les oiseaux et les fruits que voici. »

CHAPITRE XXX.

Des cannibales.

Fausse opinion que l’on a quelquefois des peuples que l’on dit « barbares ». — Quand le roi Pyrrhus passa en Italie et qu’il eut reconnu la formation de combat que prenait l’armée que Rome envoyait contre lui : « Je ne sais, dit-il, ce que sont ces Barbares (les Grecs appelaient ainsi toutes les nations étrangères), mais les dispositions que je leur vois prendre ne le sont nulle-