Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/462

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bander pour le party qui nous est le plus ennuyeux : et de donner aux maladies, à l’indigence et au mespris vn aigre et mauuais goust, si nous le leur pouuons donner bon : et si la fortune fournissant simplement de matière, c’est à nous de luy donner la forme. Or que ce que nous appellons mal, ne le soit pas de soy, ou au moins tel qu’il soit, qu’il dépende de nous de luy donner autre faueur, et autre visage, car tout renient à vn, voyons s’il se peut maintenir.

Si l’estre originel de ces choses que nous craignons, auoit crédit de se loger en nous de son authorité, il logeroit pareil et semblable en tous : car les hommes sont tous d’vne espèce : et sauf le plus et le moins, se trouuent garnis de pareils outils et instruments pour conceuoir et iuger. Mais la diuersité des opinions, que nous auons de ces choses là, montre clairement qu’elles n’entrent en nous que par composition. Tel à l’aduenture les loge chez soy en leur vray estre, mais mille autres leur donnent vn estre nouueau et contraire chez eux. Nous tenons la mort, la pauureté et la douleur pour nos principales parties. Or cette mort que les vns appellent des choses horribles la plus horrible, qui ne sçait que d’autres la nomment l’vnique port des tournions de cette vie ? le souuerain bien de nature ? seul appuy de nostre liberté ? et commune et prompte recepte a à tous maux ? Et comme les vns l’attendent tremblans et effrayez, d’autres la supportent plus aysement que la vie. Celuy-là se plaint de sa facilité :

Mors, vtinam pauidos vitæ subducere nolles,
Sed virtus te sola daret !

Or laissons ces glorieux courages :Theodorus respondit à Lysimachus menaçant de le tuer : Tu feras vn grand coup d’arriuer à la force d’vne cantharide. La plus part des Philosophes se trouuent auoir ou preuenu par dessein, ou hasté et secouru leur mort. Combien voit-on de personnes populaires, conduictes à la mort, et non à vne mort simple, mais meslee de honte, et quelquefois de griefs tourmens, y apporter vne telle asseurance, qui par opiniâtreté, qui par simplesse naturelle, qu’on n’y apperçoit rien de changé de leur estât ordinaire : establissans leurs affaires domestiques, se recommandans à leurs amis, chantans, preschans et entretenans le peuple : voire y meslans quelquefois des mots pour rire, et beuuans à leurs