Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/542

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site en leur equippage, mais encore de despouiller leurs ennemis vaincus, voulant, disoit-il, que la pauureté et frugalité reluisist auec le reste de la battaille.Aux sièges et ailleurs, où l’occasion nous approche de l’ennemy, nous donnons volontiers licence aux soldats de le brauer, desdaigner, et iniurier de toutes façons de reproches : et non sans apparence de raison. Car ce n’est pas faire peu, de leur ester toute espérance de grâce et de composition, en leur représentant qu’il n’y a plus ordre de l’attendre de celuy, qu’ils ont si fort outragé, et qu’il ne reste remède que de la victoire. Si est-ce qu’il en mesprit à Vitellius : car ayant affaire à Othon, plus foible en valeur de soldats, des-accoustumez de longue main du faict de la guerre, et amollis par les délices de la ville, il les agassa tant en fin, par ses paroles picquantes, leur reprochant leur pusillanimité, et le regret des Dames et festes, qu’ils venoient de laisser à Rome, qu’il leur remit par ce moyen le cœur au ventre, ce que nuls enhortemens n’auoient sçeu faire : et les attira luy-mesme sur ses bras, où lon ne les pouuoit pousser. Et de vray, quand ce sont iniures qui touchent au vif, elles peuuent faire aisément, que celuy qui alloit laschement à la besongne pour la querelle de son Roy, y aille d’vne autre affection pour la sienne propre.

À considérer de combien d’importance est la conseruation d’vn chef en vn’armée, et que la visée de l’ennemy regarde principalement cette teste, à laquelle tiennent toutes les autres, et en dépendent : il semble qu’on ne puisse mettre en doubte ce conseil, que nous voyons auoir esté pris par plusieurs grands chefs, de se trauestir et desguiser sur le point de la meslée. Toutesfois l’inconuenient qu’on encourt par ce moyen, n’est pas moindre que celuy qu’on pense fuir : car le Capitaine venant à estre mescognu des siens, le courage qu’ils prennent de son exemple et de sa présence, vient aussi quant et quant à leur faillir ; et perdant la veuë de ses marques et enseignes accoustumées, ils le iugent ou mort, ou s’estre desrobé désespérant de l’affaire. Et quant à l’expérience, nous luy voyons fauoriser tantost l’vn tantost l’autre party. L’accident de Pyrrhus en la battaille qu’il eut contre le consul Leuinus en Italie, nous sert à l’vn et l’autre visage : car pour s’estre voulu cacher sous les armes de Demogacles, et luy auoir donné les siennes, il sauua bien sans doute sa vie, mais aussi il en cuida encourir l’au-