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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/547

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Quint en Provence, le roi François Ier eut à décider s’il le devancerait en se portant au-devant de lui en Italie, ou s’il l’attendrait sur ses états. Il se résolut à ce dernier parti, bien qu’il se rendît compte de l’avantage qu’il y a à transporter hors de chez soi le théâtre des hostilités, de telle sorte que le pays conservant ses ressources intactes, puisse continuellement fournir aux besoins en hommes et en argent. En outre, les nécessités de la guerre entraînent de continuels dégâts, auxquels nous ne nous décidons pas de gaîté de cœur à exposer ce qui nous appartient, d’autant que l’habitant s’y résigne moins facilement quand ils proviennent de gens de son parti que du fait de l’ennemi, à tel point, qu’il peut en résulter aisément des séditions et des troubles. Enfin, la licence de dérober et de piller, qui est pour le soldat une grande atténuation aux misères de la guerre, ne peut s’exercer dans son propre pays ; et comme, dès lors, il n’a plus d’autre bénéfice à espérer que sa solde, il est difficile de le retenir à son poste quand il est à si courte distance de sa femme et de son chez lui. Ajoutons que celui qui met la nappe en est toujours pour les frais du festin ; qu’il est plus agréable d’attaquer que de demeurer sur la défensive ; que l’ébranlement résultant de la perte d’une bataille est si violent que, lorsque l’événement se passe sur notre sol, il est difficile que le pays tout entier n’en soit pas atteint, attendu que rien n’est si contagieux que la peur, ne trouve si aisément créance, ne se répand plus rapidement et qu’il est à craindre que les villes, aux portes desquelles l’orage aura éclaté, qui en auront été témoins, qui auront recueilli chefs et soldats encore ahuris et tremblants d’effroi, ne se jettent, sous le coup de l’émotion, dans quelque mauvaise résolution. Ces diverses considérations n’empêchèrent pas le roi de rappeler les forces qu’il avait au delà des Alpes et de se déterminer à voir venir l’ennemi ; c’est qu’en effet, des raisons d’un autre ordre militent en sens contraire : — Étant sur son propre territoire, au milieu de populations amies, le roi, dans cette seconde hypothèse, était assuré de trouver en abondance toutes facilités. Les rivières, les moyens de passage étant à son entière disposition, les convois de vivres et d’argent s’effectueraient en toute sécurité sans qu’il soit besoin d’escorte. Ses sujets se montreraient d’autant plus dévoués que le danger serait plus proche. Disposant d’un grand nombre de villes et de points de résistance lui donnant toute sûreté, il demeurerait maître de combattre quand bon lui semblerait et seulement lorsqu’il y trouverait opportunité et avantage. S’il lui convenait de temporiser, il pouvait le faire à l’abri et tout à son aise, laissant son ennemi se morfondre et se désagréger de lui-même, en raison des difficultés qu’il aurait à surmonter sur un territoire où tout serait contre lui ; où tout, devant, derrière, sur les flancs, lui serait hostile, où il serait dans l’impossibilité de faire reposer ses troupes, d’étendre ses cantonnements si des maladies survenaient ; où il ne trouverait pas à abriter ses blessés ; où il ne pourrait se procurer de l’argent et des vivres qu’en recourant à la force, où il