Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/546

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çois fut au propre d’eslire, ou de luy aller au deuant en Italie, ou de l’attendre en ses terres : et bien qu’il considerast combien c’est d’auantage, de conseruer sa maison pure et nette des troubles de la guerre, afin qu’entière en ses forces, elle puisse continuellement fournir deniers, et secours au besoing : que la nécessité des guerres porte à tous les coups, de faire le gast, ce qui ne se peut faire bonnement en nos biens propres, et si le païsant ne porte pas si doucement ce rauage de ceux de son party, que de l’ennemy, en manière qu’il s’en peutaysément allumer des séditions, et des troubles parmy nous : que la licence de desrober et piller, qui ne peut estre permise en son païs, est vn grand support aux ennuis de la guerre : et qui n’a autre espérance de gain que sa solde, il est mal aisé qu’il soit tenu en office, estant à deux pas de sa femme et de sa retraicte : que celuy qui met la nappe, tombe tousiours des despens : qu’il y a plus d’allégresse à assaillir qu’à deffendre : et que la secousse de la perte d’vne battaille dans nos entrailles, est si violente, qu’il est malaisé qu’elle ne croulle tout le corps, attendu qu’il n’est passion contagieuse, comme celle de la peur, ny qui se prenne si aisément à crédit, et qui s’espande plus brusquement : et que les villes qui auront ouy l’esclat de cette tempeste à leurs portes, qui auront recueilly leurs Capitaines et soldats tremblans encore, et hors d’haleine, il est dangereux sur la chaude, qu’ils ne se iettent à quelque mauuais party : Si est-ce qu’il choisit de r’appeller les forces qu’il auoit delà les monts, et de voir venir l’ennemy. Car il peut imaginer au contraire, qu’estant chez luy et entre ses amis, il ne pouuoit faillir d’auoir planté de toutes commoditez, les riuieres, les passages à sa deuotion, luy conduiroient et viures et deniers, en toute seureté et sans besoing d’escorte : qu’il auroit ses subiects d’autant plus affectionnez, qu’ils auroient le danger plus près : qu’ayant tant de villes et de barrières pour sa seureté, ce seroit à luy de donner loy au combat, selon son opportunité et aduantage : et s’il luy plaisoit de temporiser, qu’à l’abry et à son aise, il pourroit voir morfondre son ennemy, et se deffaire soy mesme, par les difficultez qui le combattroyent engagé en vne terre contraire, où il n’auroit deuant ny derrière luy, ny à costé, rien qui ne luy fist guerre : nul moyen de rafraîchir ou d’eslargir son armée, si les maladies s’y mettoient, ny de loger à couuert ses blessez ; nuls deniers, nuls viures, qu’à pointe de lance ; nul loisir