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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/555

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ancêtres, notamment à l’époque de la guerre des Anglais, mettaient généralement pied à terre dans les combats de certaine importance et dans les batailles rangées, ne se fiant qu’à leur propre force, à leur courage et à leur vigueur personnels pour défendre des choses aussi précieuses que l’honneur et la vie. Quoi qu’en dise Chrysanthe, dans Xénophon, quand vous combattez à cheval, vous liez votre valeur et votre fortune à celles de votre cheval ; les blessures et la mort qui peuvent l’atteindre, peuvent causer votre perte ; s’il s’effraie ou s’emporte, vous voilà lâche ou téméraire ; que vous soyez impuissant à l’arrêter ou à le pousser en avant, votre honneur en dépend. C’est pourquoi je ne trouve pas étonnant que les combats à pied que se livraient nos ancêtres, aient été plus sérieux et plus opiniâtres que ceux qui se livrent à cheval : « Vainqueurs et vaincus se ruaient, se massacraient ; nul ne songeait à fuir (Virgile) » ; la victoire était alors bien plus disputée, tandis que maintenant la déroute est immédiate : « Les premiers cris et la première charge décident du succès (Tite-Live). »

Les armes les plus courtes sont les meilleures, une épée vaut mieux qu’une arquebuse. — Dans une question où le hasard a si grande part, il faut mettre le plus de chance de réussite de notre côté ; aussi conseillerais-je l’emploi des armes de main le plus courtes possible, comme étant celles dont les effets dépendent le plus de nous. Il est évident que nous sommes bien plus sûrs d’une épée que nous avons en main, que de la balle qui s’échappe de notre arquebuse, laquelle comprend des éléments divers ; la poudre, la pierre, le rouet, dont le moindre venant à manquer compromet du même coup votre fortune. On est plus certain du coup qu’on assène soi-même que de celui que l’on envoie à travers les airs : « Les coups dont on abandonne la direction au vent, sont incertains : l’épée est la force du soldat, toutes les nations guerrières combattent avec l’épée (Lucain). »

Aussi faut-il espérer qu’on abandonnera les armes à feu pour en revenir aux armes anciennes. — Ce qu’était la phalarique. — Pour ce qui est des armes à feu de notre époque, j’en parlerai plus en détail quand je comparerai nos armes à celles dont il était fait usage dans l’antiquité. Sauf la détonation qui surprend mais à laquelle on est aujourd’hui habitué, je crois qu’elles sont de peu d’efficacité et espère qu’un jour on renoncera à leur emploi. — L’arme dont les Italiens faisaient jadis usage était autrement redoutable ; c’était à la fois une arme de jet et une arme à feu ; ils la nommaient phalarica. La phalarique consistait en une sorte de javeline armée à son extrémité d’un fer de trois pieds de long, capable de percer de part en part un homme et son armure ; elle se lançait soit à la main en rase campagne, soit avec des engins quand, dans les sièges, on s’en servait pour la défense ; la hampe était revêtue d’étoupe enduite de poix et d’huile qui s’enflammait dans sa course ; en pénétrant le corps ou le bouclier, elle empêchait tout usage des armes et immobilisait bras et jambes. Toutefois, il semble que