Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/554

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guerre des Anglois, es combats solennels et iournées assignées, se mettoient la plus part du temps tous à pied, pour ne se fier à autre chose qu’à leur force propre, et vigueur de leur courage, et de leurs membres, de chose si chère que l’honneur et la vie. Vous engagez, quoy qu’en die Chrysanthes en Xenophon, vostre valeur et vostre fortune, à celle de vostre cheual, ses playes et sa mort tirent la vostre en conséquence, son effray ou sa fougue vous rendent ou téméraire ou lasche : s’il a faute de bouche ou d’esperon, c’est à vostre honneur à en respondre. À cette cause ie ne trouue pas estrange, que ces conbats là fussent plus fermes, et plus furieux que ceux qui se font à cheual,

cædebant pariter, paritérque ruebant
Victores victique ; neque his fuga nota, neque illis.

Leurs battailles se voyent bien mieux contestées : ce ne sont à cette heure que routes : primus clamor atque impetus rem decernit.Et chose que nous appellons à la société d’vn si grand hazard, doit estre en nostre puissance le plus qu’il se peut. Comme ie conseilleroy de choisir les armes les plus courtes, et celles dequoy nous nous pouuons le mieux respondre. Il est bien plus apparent de s’asseurer d’vne espée que nous tenons au poing, que du boulet qui eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a plusieurs pièces, la poudre, la pierre, le rouët, desquelles la moindre qui vienne à faillir, vous fera faillir vostre fortune. On assené peu seurement le coup, que l’air vous conduict.

Et, quo ferre velint, permittere vulnera ventis :
Ensis habet vires, et gens quæcunque virorum est,
Bella gerit gladiis.

Mais quant à cett’arme-là, i’en parleray plus amplement, où ie feray comparaison des armes anciennes aux nostres : et sauf l’estonnement des oreilles, à quoy désormais chacun est appriuoisé, ie croy que c’est vn’arme de fort peu d’effect, et espère que nous en quitterons vn iour l’vsage. Celle dequoy les Italiens se seruoient de iet, et à feu, estoit plus effroyable. Ils nommoient Phalarica, vne certaine espèce de iaueline, armée par le bout, d’vn fer de trois pieds, affin qu’il peust percer d’outre en outre vn homme armé : et se lançoit tantost de la main, en la campagne, tantost à tout des engins pour deffendre les lieux assiégez : la hante reuestue d’estouppe empoixée et huilée, s’enflammoit de sa course : et s’attachant au corps, ou au bouclier, ostoit tout vsage d’armes et de membres. Toutesfois il me semble que pour venir au ioindre, elle portast